A la Grande Mosquée de Paris, le business très opaque de la certification des produits Halal

La Grande Mosquée de Paris se retrouve au cœur de la brouille diplomatique entre Paris et Alger. Des parlementaires dénoncent son monopole de la certification Halal nécessaire à l’exportation de produits alimentaires vers l’Algérie.
Depuis fin 2022, pour exporter un produit alimentaire vers l’Algérie, les industriels européens doivent passer par la certification Halal délivrée par la Grande Mosquée de Paris. Un certificat du caractère Halal des produits moyennant quelques centimes par kilo.
Un monopole déjà interrogé en 2024 par la Commission européenne qui y voit une mesure qui “entrave le commerce avec l’UE de manière significative”. Et encore, là ce n’est là que pour la question concurrentielle, la plus simple. mais c’est le premier signal d’alerte, comme si la Grande Mosquée de Paris s’était transformée en bureau des douanes de l’Algérie.
D’abord, la Grande Mosquée est très liée à l'Algérie. C’est au moins un canal de communication. Mais c’est vrai qu’elle est un organe de certification des produits Halal depuis 1939. Donc ce n’est pas nouveau. Ce qui l’est en revanche, c’est cet accord récent avec l’Algérie. C’est le journal L’Opinion qui a enquêté sur ce monopole et sur son fonctionnement imaginé par le recteur de l’Institution, proche par ailleurs du pouvoir algérien.
A quoi sert cet argent?
La Grande Mosquée de Paris est une association Loi 1901. Elle ne peut normalement pas dégager de bénéfice. L’organe certificateur en revanche est une entreprise. Une société qui est hébergée à la Grande Mosquée de Paris. Son chiffre d’affaires pourrait atteindre les 5 millions d’euros pour 2024. Et le président de cette société, c’est bien le recteur Chems-Eddine Hafiz.
Les industriels de l’agro-alimentaire jouent le jeu non sans grincer des dents pour certains. Mais ils jouent le jeu. L’Opinion cite un ancien responsable du Halal pour le groupe Casino. Il évoque des systèmes similaires avec d’autres pays musulmans comme les Emirats ou l’Indonésie. Mais l’Algérie c’est une liste élargie de produits. La viande bien sûr, mais aussi les produits laitiers, les gâteaux et biscuits, les huiles, les confiseries, les chocolats…
On est au-delà de la simple prescription religieuse. Des experts y voient un retour de la dîme, l’impôt sur les récoltes prélevé par l’Eglise jusqu’à la révolution plus qu’un réel tampon religieux. D’ailleurs un industriel du lait dit à l’Opinion: “la certification on la demande, on la paye, on l’obtient. Il n’y a pas de contrôle”. Faut-il croire la Grande Mosquée de Paris sur parole ? La société ne compte que trois salariés, des personnels administratifs, pas de contrôleurs.
Une légalité remise en doute
Cet industriel anonyme ajoute, dans le contexte, qu’“emmerder les entreprises françaises c’est un bonus pour l’Algérie”. Je vous donne quelques tarifs pour cette certification. 2 centimes le kilo de poudre de lait, 5 centimes pour les préparations pour nourrissons, 8 centimes le kilo pour les viandes, 10 centimes pour les confiseries et chocolats. Et les journalistes de l’Opinion mettent clairement en doute les 5 millions de Chiffre d’Affaires annoncés. L’Algérie importait 14% de son alimentation depuis la France en 2022.
Dans son enquête, L’Opinion cite un membre de l’équipe précédente à la Grande Mosquée, qui dénonce un moyen de financer le train de vie des dirigeants. Officiellement, ce business a vocation à financer le culte musulman. Le recteur de la Grande Mosquée répond qu’il n’y a aucun enrichissement personnel. Cet argent compenserait l’interdiction de recevoir des financements de l’étranger depuis 2022. Jeudi encore, Chems-Eddine Hafiz dénonçait une cabale qui le vise.
Au niveau de la France, des élus commencent à protester et à demander des explications alors que longtemps, l’Etat français a fermé les yeux. Côté ministère de l’agriculture, on voyait dans le Halal un levier de croissance pour nos exportations. De son côté le ministère de l’Intérieur a assurait à RMC jeudi “on étudie la légalité de l’accord au regard de la loi de 1905”.