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Face aux médias, Marine Le Pen utilise la même stratégie que Donald Trump

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Marine Le Pen, candidate Front national à la présidentielle, a dénoncé mercredi un "manque de déontologie" de la part des médias dans leur traitement de la campagne présidentielle, considérant notamment qu'Emmanuel Macron était "énormément avantagé". Une prise de position critiquée ce mardi par Jean-Luc Mano, conseiller en communication.

Jean-Luc Mano, fondateur d'Only Conseil, cabinet de conseils en communication et stratégie politique:

"Je m'oppose à la stratégie de Marine Le Pen de s'en prendre aux médias pour une raison de principe. Je considère en effet que lorsqu'on est candidat à la fonction suprême, ou à n'importe quelle fonction élective en démocratie, la confrontation avec la presse est indispensable. C'est quelque chose de fondateur dans notre République. L'idée que les politiques pourraient contester le fait que la presse les interroge, enquête, discute leurs positions, cela crée un monde sans liberté de la presse. Pour autant, cela ne veut pas dire que l'on ne peut pas contester ce que dit la presse.

Les médias ne sont pas un pouvoir qui doit fonctionner sans contre-pouvoir. Ils sont un contre-pouvoir qui doit être soumis à débat et à controverse. On peut naturellement critiquer la presse et, parfois, elle a des raisons d'être critiquée. Mais le système qui consiste à parler des médias dans leur ensemble, à faire huer les journalistes dans les meetings, et qui considère qu'en réalité il faudrait un lien direct entre le politique et l'opinion uniquement par l'intermédiaire de ce qu'il dit lui, c’est-à-dire sans controverse, c'est le modèle de la Corée du Nord. Et ça n'a pas de sens.

"La même stratégie que Donald Trump"

Marine Le Pen critique les juges, les journalistes… tout ce qu'elle appelle "l'élite". Elle utilise ici la même stratégie employée par Donald Trump durant la campagne américaine. Même si sa victoire doit être relativisée car, au final, il a récolté deux millions de votes de moins que Clinton. Si en France, cette stratégie-là conduit Marine Le Pen à avoir deux millions de voix de moins que le candidat qui lui sera opposé, on ne pourra pas dire que ça aura été un succès puisqu'elle ne sera pas élue.

Sur la question du temps de parole et du traitement de la campagne par les médias, il y a matière à débat. Mais tout cela est quantifiable, vérifiable. Si elle estime qu'elle est malmenée ou injustement traitée en termes de temps de parole, il y a des règles établies par le CSA et elle peut donc contestée si c'est vraiment le cas. Et s'il y a une distorsion, il faut la corriger. Sur ce sujet, chaque parti, chaque candidat est dans son droit de contester.

"Ce qui fait le succès du FN est plus sérieux et plus grave"

Cependant, les médias privés peuvent, en fonction de leur électorat, de leur auditorat ou des téléspectateurs à qui ils s'adressent, traiter des sujets en fonction de leur ligne éditoriale. Je ne pense pas, par exemple, qu'il y aura dans Le Figaro un espace éditorial égal pour François Fillon et pour Philippe Poutou. Tout comme je ne pense pas qu'il y aura dans Libération un espace égal entre les candidats de gauche et ceux de droite. Cela dépend des orientations éditoriales d'une presse privée, plurielle et pluraliste.

Je ne crois pas que les attaques de Marine Le Pen, ou de son père à l'époque, contre la presse fonctionne. Je pense que le succès indéniable du Front national repose d'abord sur des ressorts beaucoup plus importants et beaucoup plus fondamentaux que quelques éructations contre tel ou tel média. Au fond, ce qui fait le succès du FN, c'est plus sérieux et plus grave: l'absence de résultat des politiques économiques, le fait que les politiques de tous bords ont abandonné le dialogue avec une partie de la population qui se dit déclassée, ignorée, abandonnée. Les gens qui vont voter FN le font en fonction des difficultés rencontrées dans leur vie (chômage, désertification médicale, suppression des services publics en milieu rural...) et non sur le fait que les journaux ne sont pas gentils avec leur candidat.

"Des gens peuvent se mobiliser contre elle"

L'attaque contre les médias n'est pas, en tant que telle, un bon système. Mais il y a une logique pour le FN à procéder de la sorte. Et d'ailleurs ce n'est pas le seul à le faire. D'autres à droite et à gauche, les populistes de manière générale, s'en prennent à la presse. Ils se présentent comme étant hors-système et même anti-système, ce qui englobe les médias. Ce n'est donc pas incohérent de la part du FN de s'en prendre à la presse. Mais ça ne fonctionne pas en France. L'antienne 'La presse est contre nous' a été popularisée par Georges Marchais, candidat du PCF dans les années 70-80. Or, ça ne s'est pas terminé brillamment mais par l'effondrement du Parti communiste. Ça n'a pas permis d'éviter les échecs électoraux.

L'hostilité de la presse a toujours été un argument de l'extrême droite. Je ne dis pas que Marine Le Pen a tort d'en jouer, je dis que c'est insuffisant. On peut discuter les orientations de la presse mais il faut toujours la respecter et ne pas être dans la logique du complot. Pour autant, est-ce que cela fonctionne? Oui, partiellement car cela crée aussi des contre-réactions. Quand Marine Le Pen s'en prend aux journaux, elle gagne peut-être quelques voix mais il y a aussi des gens qui vont crier au danger et donc se mobiliser contre elle".

Propos recueillis par Maxime Ricard