"Je tenais mon fils en laisse": Airtag, caméras, les nouvelles méthodes de surveillance des parents

Sylvie, retraitée dans l'Hérault, était mère de famille d'un petit garçon dans les années 80. "Quand il était petit, quand on allait à la plage, il se carapatait." Alors aux grands maux les grands remèdes! "J’en ai eu marre, j’ai acheté une laisse. Je le tenais en laisse. À l’époque, on n’avait pas de bracelets ou de portables mais on les surveillait", témoigne-t-elle ce vendredi sur RMC.
"Moi, je n’ai jamais quitté mes enfants des yeux à la plage. Je ne me baignais pas. En ville aussi, il se carapatait. Un jour des Espagnoles m'ont jugée. J'ai dit: 'Je préfère avoir un chien en laisse qu’un gamin sous les roues d’une voiture'", assène Sylvie au micro d'Estelle Midi.
"J'ai été tenue en laisse, ça ne m'a pas traumatisée"
Nadine, toiletteuse en Loire-Atlantique, a vécu la même expérience sauf que c'est elle qui était en laisse: "J’étais une gamine intrépide et je ne supportais pas de donner la main à mes parents", s'amuse-t-elle. Si elle l'assure que cela n'a pas été un traumatisme pour elle, cela fut le cas pour ses parents. "Mon père, 80 ans, s'en souvient encore!" Nadine rassure néanmoins: "Je n'ai pas été en laisse très longtemps!" Mais ado, elle restait à la maison, interdiction de sortir...
Franck, pompier, est père d'une fille de 14 ans. Pas la même génération, pas la même époque. Et pas les mêmes problématiques. Ici, il s'agit plus d'une surveillance lorsqu'on ne peut être en présence de son enfant. Lorsqu'il rentre de l'école, lorsqu'il va chez des amis. Aussi, le pompier le revendique. "J'ai la totale. Airtag, géolocalisation, caméra au domicile..." Selon un sondage Ipsos réalisé en 2022, 41 % des parents géolocalisent leurs enfants.
Une surveillance accrue en réponse à une société trop dangereuse?
Il se justifie par une société devenue trop anxiogène à ses yeux: "Par mon activité de sapeur-pompier, je vois la société évoluer. Je vois des enfants, je les connais, je fais des interventions — avec un regard mal placé, ça peut mal tourner. Ce n'est pas du tout la même génération qu’on était".
"Ça me rend un petit peu anxieux, je travaille sur moi. Mais je pense que c’est un bien pour un mal : petit à petit, elle prendra son élan", poursuit Franck. Sa fille de 14 ans, est au courant de cette surveillance. "Oui, elle sait. Je suis proche d’elle. Elle sait quand j’enclenche la caméra — ça me permet de vérifier si elle fait ses devoirs ou si elle est sur la console. Elle accepte les règles du jeu."
Mêmes pratiques pour Majid, père de 2 enfants de 16 et 21 ans. Je suis conducteur de métro, ligne 9 à Paris. Je vois les agressions. On est dans un terrain assez dangereux", dit-il. Ça ne va pas éviter l’agression, mais savoir où ils sont, ça me rassure. Je jette un petit œil toutes les 2-3 heures", détaille le père de famille. Ses enfants sont au courant également: son fils de 21 ans "sait, mais ça ne lui pose pas de problème. Il n'a pas grand-chose à cacher".
Ces pratiques, cette surveillance accrue est-elle véritablement la conséquence d'une société devenue plus dangereuse? Ou de par la médiatisation, plus prégnante aujourd'hui, des faits divers aussi sordides soient-ils? Pour ce qui est des plus jeunes enfants, et l'usage de la laisse par exemple, il s'agit "possiblement une conséquence de l’absence de la fonction paternelle intrapsychique", juge la psychothérapeute Caroline Goldman, dans Estelle Midi. "Quand l’interdit est intériorisé, c’est l’enfant qui veille et qui reste vigilant."
Questionner les intentions des parents
De manière plus générale, "il n'y pas trop de protection — la question, c’est l’intention parentale : est-ce qu’elle est de veiller au bien-être de l’enfant ou est-ce un moyen de maîtrise maquillée? Ce n’est plus une question d’amour pour l’enfant, mais de réassurance pour soi", poursuit Caroline Goldman.
Attention toutefois à ne pas trop transpirer l'angoisse: "Une trop grande inquiétude parentale contamine les enfants, jusqu’à entraver leur liberté de penser, d’agir, de désirer, d’échapper", met en garde la psychothérapeute. En février, Béatrice Copper Royer, psychologue clinicienne, alertait sur RMC à propos de ses pratiques. "Ceux qui s'en plaignent me disent qu'ils ont l'impression d'avoir une espèce d'oeil de Moscou au-dessus d'eux qui les surveille en permanence. Il y a un manque de confiance et les adolescents en ont besoin."
Des enfants qui marchent de moins en moins
Une évolution des pratiques et des mentalités qui avait été mise en perspective par William Bird, médecin et conseiller stratégique en matière de santé pour Natural England et relayée par nos confrères de Libération en 2023. Ce dernier avait analysé la perte progressive d’autonomie de mouvement chez les enfants, au sein d'une famille britannique. Ces derniers aujourd’hui, ne peuvent presque plus se déplacer seuls. En 1926, dans la famille étudiée, George, âgé de 8 ans, parcourait en moyenne jusqu’à 9 km par jour, à pied et seul.
En 1979, son fils Jack, au même âge, était autorisé à marcher seul jusqu’à 2 km. Toujours en 1979, Vicky, petite-fille de George, avait le droit d’aller à pied jusqu’à la piscine, soit 2 km aller-retour. Enfin, en 2007, Edward, arrière-petit-fils de George, ne faisait plus que… 300 mètres par jour.
Dans la même veine, le nombre d’enfants jouant dans l’espace public a diminué de 50 % entre 1983 et 2008. Une étude menée en 2019 aux Pays-Bas montre même que 15 % des enfants ne jouent jamais dehors.