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L'accent de Jean Castex moqué: "La bourgeoisie d'Île-de-France a imposé sa manière de parler"

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Michel Feltin-Palas, spécialiste des langues régionales, rédacteur en chef à L’Express et coauteur avec Jean-Michel Apathie d'un livre intitulé J’ai un accent, et alors? est revenu ce lundi sur RMC sur l'accent du nouveau Premier ministre qui a été très commenté lors de sa première prise de parole vendredi.

Jean Castex parviendra-t-il à faire évoluer les mentalités sur les accents en France? Les accents régionaux marqués du Sud, du Nord ou de l'Est sont parfois considérés de manière péjorative au niveau professionnel. Lors de sa première prise de parole publique en tant que Premier ministre vendredi, Jean Castex, originaire des Pyrénées-Orientales, a été parfois moqué sur les réseaux sociaux pour son accent. 

Michel Feltin-Palas, spécialiste des langues régionales, rédacteur en chef à L’Express et coauteur avec Jean-Michel Apathie d'un livre intitulé J’ai un accent, et alors? est revenu ce lundi sur RMC sur cette discrimination.

"Le pauvre Jean Castex, simplement parce qu’il ne parle pas avec l’accent traditionnel du pouvoir a été déconsidéré comme s’il y avait une équivalence entre l'accent et la compétence. C’est pénalisant. Toute personne doit être jugée sur ce qu’elle dit et non pas sur la manière dont elle parle."

"L'accent de la bourgeoisie d’Île-de-France a réussi l’exploit de faire croire qu’elle n’avait pas d’accent"

Le journaliste rappelle que l'accent "standardisé" en France que l'on entend dans les sphères du pouvoir, des médias et de la culture est un accent comme un autre qui a juste été banalisé.

"L’accent c’est simplement la manière de parler. Il se passe qu’en France, un des accents de Paris, plus précisément l’accent de la bourgeoisie d’Île-de-France qui a réussi l’exploit de faire croire qu’elle n’avait pas d’accent. C’est aussi idiot que si je disais à une personne qui a la peau noire, qu’elle a une couleur et pas moi. C’est idiot."

Michel Feltin-Palas estime que c'est un mépris de la capitale envers la province qui est à l'origine de ces moqueries, mais également un mépris de classe.

"Le mépris des accents est à la fois géographique, le mépris de Paris vis-à-vis des régions. Mais c'est aussi un mépris social, car si vous observez ce qui est devenu l’accent standard, ce n’est pas celui du peuple parisien à la Arletty. C’est un enjeu de pouvoir et c’est la bourgeoisie d’Île-de-France qui a réussi à imposer sa manière de parler et à discréditer d’emblée toute personne qui ne parle pas de la même manière."

"10 millions de personnes en France sont discriminées professionnellement en raison de leur accent"

Le spécialiste des langues régionales donne l'exemple du philosophe Michel Serres qui assure avoir dû attendre des années avant que l'on prenne en compte le fond de sa parole plutôt que la forme.

"Michel Serres était Gascon, avait l’accent d’Agen, il disait qu’il avait dû attendre 60 ans avant d’être pris au sérieux. Il a été rétrogradé du concours de l’agrégation en raison de son accent. C’est terrible.
10 millions de personnes en France sont discriminées professionnellement en raison de leur accent, soit au moment des concours, soit durant leur carrière. Ca perdure et ça se renforce. Ca s’appelle la glottophobie. Vous reprochez à quelqu’un ce qu’il est et pas ce qu’il fait."

L'auteur espère que la nomination de Jean Castex pourra faire évoluer les mentalités, et estime qu'il faudra d'autres symboles dans les domaines visibles au grand public pour y parvenir.

"Peut-être que son arrivée fera évoluer la situation. Il faut des symboles à la télévision, au cinéma, chez les grands patrons, chez les intellectuels, pour que l’on juge les gens sur ce qu’ils disent et non pas comment ils s’expriment."
James Abbott