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Aide active à mourir: "On se sent complètement abandonnés" dénonce la Société française des soins palliatifs

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Emmanuel Macron a exposé ce dimanche soir sa stratégie pour la fin de vie, dans La Croix et Libération. Il défend un "modèle français de la fin de vie" et plaide pour une "aide à mourir", dans certaines conditions. Sur RMC, ce lundi matin, la Dr Claire Fourcade, présidente de la société française d’accompagnement et de soins palliatifs, fait part de sa "tristesse" et de son sentiment d'"abandon".

Un projet de loi sur la fin de vie sera présenté en avril en Conseil des ministres, puis en mai à l’Assemblée nationale. Emmanuel Macron en expose les contours dans une interview à La Croix et à Libération, publiée ce dimanche. Il ne retient ni le terme d'euthanasie, ni celui de suicide assisté, mais plaide pour une aide à mourir dans des conditions strictes. La première, c'est qu'elle ne sera réservée qu'aux personnes majeures, et c'était l'une des demandes de la convention citoyenne.

Par ailleurs, il faudra aussi être totalement lucide au moment où le patient fera sa demande, ce qui exclut les patients atteints de maladies psychiatriques ou de certaines maladies neurodégénératives comme Alzheimer. Troisième condition, les personnes demandant une aide active à mourir devront être atteintes de maladies incurables, avec un pronostic vital engagé à court ou moyen terme. Mais que veut dire court ou moyen terme? Plusieurs mois? Une année? Cette notion sera très difficile à définir et fait déjà débat. Dernier critère, celui des souffrances, les médecins ne pourront accorder ce nouveau droit qu'à des personnes souffrant de douleurs qui ne peuvent plus être soulagées par les traitements.

Mais ce qui change le plus profondément avec la loi Claeys-Leonetti votée en 2016, c'est qu'Emmanuel Macron, sans le dire, est favorable à l'administration d'une substance létale, un cachet ou une injection qui entraînera la mort en quelques minutes ou quelques heures. Une substance qui sera prise par le patient lui-même s'il le peut. Et s'il ne le peut plus, la charge incombera alors à un de ses proches et en dernier recours à un médecin ou à un infirmier volontaire. C'est donc très différent du cadre actuel qui autorise dans certains cas seulement, et non pas pour un cancer en stade terminal par exemple, "une sédation profonde et continue jusqu'au décès". En réalité, le patient est placé dans un coma artificiel, et les traitements, l'alimentation et l'hydratation sont stoppés jusqu'à sa mort. Le décès ne survient alors qu'au bout de plusieurs jours, après de longs moments très difficiles et douloureux pour le patient et sa famille.

L'invitée du jour : Dr Claire Fourcade - 11/03
L'invitée du jour : Dr Claire Fourcade - 11/03
8:45

"C’est notre métier, l’aide active à mourir"

"Ce matin, je suis surtout triste, explique la Dr Claire Fourcade, présidente de la société française d’accompagnement et de soins palliatifs, dans Apolline Matin ce lundi sur RMC et RMC Story. Hier, j’étais en colère. Nous faisons tous les jours à nos patients la promesse du non-abandon: ‘Quoi qu’il arrive, on sera là avec vous, jusqu’au bout’. Et c’est une promesse qui n’est pas facile à tenir, pour laquelle on a besoin de l’aide de la société. On a besoin que la société nous dise: ‘Vos patients comptent pour nous, ils sont importants et quoi qu’il arrive, on va les soulager’. On a besoin que la société nous dise à nous soignants, qui vivons dans l’ombre de la mort, que ce qu’on fait a du sens pour la société. J’ai l’impression, avec ce projet de loi, qu’on a été complètement abandonnés. Je me sens abandonnée."

"Ce projet de loi s’appelle ‘aide active à mourir’. Ça va 25 ans que je fais de l’aide active à mourir avec l’équipe dans laquelle je travaille, ajoute-t-elle. C’est notre métier, l’aide active à mourir. Nous aidons les patients jusqu’à leur mort, c’est notre travail. Donner la mort, c’est autre chose, c’est un geste différent, difficile, douloureux pour beaucoup de soignants, qui n’est souvent pas envisageable. C’est au-delà du soin. C’est un bouleversement complet de la définition du soin. En même temps, ce qui nous est proposé, en utilisant notre clause de conscience, c’est de pouvoir nous retirer quand c’est trop difficile et d’abandonner nos patients. Ça n’a pas de sens pour nous."

"C’est le quoi qu’il en coûte qu’on n’a pas bien réussi à mettre en place"

Cette spécialiste regrette surtout le manque de moyens pour les soins palliatifs, alors que le gouvernement promet de les développer. "Il y a tous les jours 500 Français qui n’ont pas accès aux soins palliatifs dont ils auraient besoin. Pendant qu’on se parle, il y a trois patients qui meurent en France sans avoir eu accès aux soins palliatifs. Elle est là la vraie inégalité. Il est là l’abandon et le scandale. (…) C’est plus la peur de souffrir, que la souffrance, qui fait demander la mort. Quand on dit à ces patients qu’on sera là quoi qu’il arrive et qu’on les soulagera même si ça doit raccourcir la vie, c’est ce que la loi nous dit. Soulager quoi qu’il en coûte, même si ça doit raccourcir la vie. C’est le quoi qu’il en coûte qu’on n’a pas bien réussi à mettre en place."

"On n’a eu aucun contact avec le gouvernement depuis le 6 septembre dernier, donc ça fait six mois, déplore également Claire Fourcade. A aucun moment, on n’a eu un projet de loi sur la table pour savoir ce qui était envisagé. Hier soir, on attendait de savoir ce qui allait nous arriver avec une grande inquiétude et beaucoup d’impatience. On a l’impression d’avoir été complètement laissés de côté. Si on prend la parole, ce n’est pas parce qu’on a des opinions ou des convictions, mais une expérience et des compétences. Et il nous semble utile dans le débat de pouvoir partager ces compétences."

LP (avec JT)