Annie Genevard contre le nouveau Nutri-score: “un mépris de la science et de la santé publique”, pour Serge Hercberg

L'association de consommateurs Foodwatch et Serge Hecberg, l'un des concepteurs du Nutri-Score, ont fait part vendredi de leurs inquiétudes quant à la mise en place d'une nouvelle version de cet affichage d'information nutritionnelle, après des déclarations critiques de la ministre de l'Agriculture Annie Genevard.
Cet étiquetage qui classe les produits alimentaires de A à E en fonction de leur composition et de leurs apports nutritionnels a été conçu par des spécialistes de la nutrition et mis en place en 2017 en France, sur la base du volontariat. Il s'est fait une place assez importante dans les rayons des grandes surfaces et une poignée de pays européens l'ont à leur tour adopté.
Dans une étude qualitative réalisée par Santé publique France et Kantar Public auprès de 71 personnes et publiée en novembre 2024, les sondés jugeaient l'indicateur "facile et rapide à utiliser" et était notamment utile pour "les produits transformés" comme les plats préparés, car les consommateurs se sentaient "incapables d'(en) évaluer eux-mêmes la qualité".
Un nouveau mode de calcul, plus sévère avec les produits transformés par l'industrie agroalimentaire pour tenir compte de travaux scientifiques plus récents, nécessite un arrêté gouvernemental pour entrer en vigueur en France. Il avait été avalisé par de précédentes équipes gouvernementales, mais la ministre actuelle de l'Agriculture,
Annie Genevard, a assumé le fait de bloquer la publication de cet arrêt cette semaine. Interrogée au Sénat, elle a indiqué: "l'arrêté est à ma signature. Je n'ai pas encore signé. Je ne sais pas quelles sont mes marges de manoeuvre pour en corriger les effets négatifs, mais croyez bien que je m'y intéresse de très près".
"La ministre de l'Agriculture bloque une mesure de santé publique"
“Ce qui bloque aujourd’hui, c’est que la ministre de l’Agriculture se positionne comme porte-parole des grands lobbys qui s’opposent à l’évolution du nutri-score, avec un mépris de la science et de la santé publique”, assure Serge Hercberg, professeur de nutrition et "père" du Nutri-Score, ce lundi 10 mars sur RMC.
“Le nutri-score ne pénalise rien, il ne fait que traduire la réalité de la composition nutritionnelle. Annie Genevard attendait que les scientifiques améliorent le nutri-score de certains produits pour faire plaisir aux filières, or les scientifiques ont travaillé en prenant en considération la science et l’intérêt des consommateurs - et non l’intérêt financier des producteurs”, poursuit-il.
Pour le Professeur, l’amélioration de l’algorithme de calcul du nutri-score permet une évaluation plus performante et en adéquation avec les qualités nutritionnelles.
Le Premier ministre doit-il trancher?
L'association de défense des consommateurs Foodwatch a de son côté jugé "irresponsable" la déclaration de la ministre, qui "se fait la porte-voix des arguments des lobbies laitiers et bloque une mesure de santé publique attendue et prête depuis un an", selon Audrey Morice, chargée de campagne chez Foodwatch. L’association a adressé, avec la fédération d'associations de patients France Assos Santé et le Réseau Action Climat, une lettre ouverte au Premier ministre François Bayrou vendredi.
"Il n'est plus possible de faire reposer la responsabilité des maladies chroniques liées à une mauvaise alimentation sur la seule responsabilité des consommateurs, alors même que ces derniers n'ont pas accès à une information claire et neutre sur ce qu'ils achètent et consomment", écrivent-ils.
Face à l’inquiétude des associations, est-ce ainsi à François Bayrou de trancher sur la question? “Il faut que le Premier ministre déclare si c'est au ministère de la Santé ou à l'Agriculture de trancher sur la santé publique”, dit Serge Hercberg à RMC.
Interrogé vendredi, le ministère de la Santé français a indiqué que Catherine Vautrin avait "déjà exprimé sa position", en l'occurrence qu'elle était "extrêmement vigilante sur les Nutri-Scores" et qu'il fallait "aller plus loin sur le sujet".
Quid de l'Union Européenne?
La Commission européenne, décisionnaire en matière d'information obligatoire aux consommateurs, a réitéré récemment "continuer à travailler" sur une solution consensuelle d'étiquetage nutritionnel qui ne soit pas le Nutri-Score, auquel sont opposés de grands industriels, certains secteurs agricoles et le gouvernement italien.
“Il faudrait que cela devienne obligatoire pour forcer la main des firmes qui refusent de l’afficher. Il y a deja sept pays qui ont adopté le nutri-score en Europe. Mais ça bloque au niveau des décisions européennes parce que, là encore, les lobbys sont extrêmement actifs pour empêcher cette transparence nutritionnelle, qui est un droit des consommateurs et un devoir des industriels”, conclut le Professeur Serge Hercberg.