Désengorger les urgences, promesse non tenue: "Le calvaire a commencé" témoigne le fils d'un patient

C'était en avril 2023. Emmanuel Macron promettait de "désengorger" les urgences d'ici fin 2024. Les médecins urgentistes étaient sceptiques à l'époque. Mais maintenant que nous y sommes, la promesse a-t-elle été tenue? Plus d'un an et demi après, à quelques jours de la fin du délai, on n'y est toujours pas.
Des patients qui attendent dans les couloirs, car peu de places disponibles. Difficile pour Frédéric Adnet du Samu de Paris de parler d'un désengorgement: "C'était une promesse. Ce n'est pas réaliste, on ne peut pas d'un coup de baguette magique résoudre un problème qui dure depuis plusieurs dizaines d'années dans des délais aussi courts".
Et encore moins à l'approche des fêtes de fin d'année, avec la montée en puissance des épidémies hivernales. Même si Marc Noizet, président de Samu-Urgences de France, note des améliorations: "On ne peut pas dire qu'il n'y a pas des mesures qui aient été prises au niveau national. Mais on est loin d'avoir atteint ce désengorgement". "Tous les jours, de nombreux services ont 10, 15, 20, 30 voire 40 patients qui attendent sur des brancards", détaille-t-il. Faute de lits, dont le nombre baisse chaque année.
L'impact de la crise politique
La valse des ministres de la Santé n'aide pas non plus à se projeter. "On met des choses en place, on a des projets et on n'arrive pas à avoir un suivi parce qu'on a changé de ministre sept fois", explique Pierre-Marie Tardieux, chef des urgences à Nice. Depuis 2017, même si chacun amène des idées, parfois saluées par les urgentistes, impossible d'acter des changements durables pour l'hôpital si le ministre ne reste pas.
Une promesse qui est donc non tenue, déplorent les urgentistes mais aussi les patients réunis chez France Assos Santé. Catherine Simonin, membre du bureau de l'association de défense des patients, juge la situation "inquiétante": "Aujourd'hui, le résultat n'est vraiment pas là, parce que s'il manque des médecins aux urgences, et c'est le cas, ceux présents seront avec une charge de travail trop importante et là, l'erreur est toujours possible. Il est vrai que les services d'urgences ferment également par manque de médecins".
"Ça pose vraiment une question de qualité et de sécurité des patients. Le changement régulier des ministres de la Santé n'est pas pour favoriser la mise en œuvre des politiques identifiées comme étant prioritaires", interroge-t-elle.
"Vraiment le tiers-monde" aux urgences
Une situation aux urgences qui peut avoir des conséquences très difficiles. Damien, auditeur RMC, vient de perdre son père il y a une dizaine de jours, à la suite d'une chute dans l'escalier chez lui, à l'âge de 76 ans. Vivant seul, il a été retrouvé après une vingtaine d'heures. "Il a été transporté aux urgences et là, le calvaire a commencé", raconte son fils. Arrivé aux urgences de l'hôpital de Troyes (Aube) à 14h, le père de Damien n'a pas vu de médecin avant 23h. Multiples fractures, oeil au beurre noir, plaies un peu partout... Il est resté plusieurs heures sans être examiné. Diabétique, il n'a pas pu prendre son traitement pendant 24h non plus.
"Les urgences étaient noires de monde, c'était vraiment le tiers-monde. Il y a des hôpitaux dans des pays moins développés que la France qui sont mieux organisés, alors qu'on est quand même dans les premières puissances mondiales. Je suis vraiment en colère. Et clairement, je pense que la moitié des gens qui étaient là n'avaient rien à faire ici", déplore Damien.
Commercial en Haute-Savoie, il pointe du doigt des problèmes "de moyens, d'effectifs, mais aussi d'organisation derrière".
"Tant qu'on ne dira pas à des gens qui viennent pour un rhume 'rentrez chez vous, vous n'avez rien à faire ici, allez voir votre médecin traitant', on n'y arrivera jamais. C'est impossible, c'est une catastrophe", s'indigne-t-il sur RMC et RMC Story.
De "gros manquements"
Et alors que les soignants étaient débordés, en laissant de côté le père de Damien, c'est sa fille qui a dû prendre le relais. Étant donné qu'elle habitait loin, elle est arrivée dans la nuit. Infirmière depuis plus de 25 ans, dont une quinzaine d'années au Samu, "elle est très aguerrie sur la médecine d'urgence".
"C'est ma soeur, le lendemain, qui a fait les soins de mon père, qui l'a branché sur le scope. Il s'encombrait au niveau des voies respiratoires, alors elle a demandé plusieurs fois qu'il soit aspiré pour le dégager, mais au bout d'un moment c'est elle qui est allée dans le service récupérer des sondes pour l'aspirer elle-même", décrit Damien.
Avant d'ajouter: "Les soignants baissaient la tête quand ils nous voyaient". Après 48h, le père de Damien est finalement décédé d'un arrêt cardiaque, dû à des complications de santé: "Je ne dis pas que l'issue aurait été différente mais il y a eu des gros manquements, et ça, on ne peut pas laisser passer aujourd'hui".
Après un rebond marqué en 2021, les passages aux urgences reculent à nouveau en 2023 pour s’établir à un niveau proche de celui de 2017 (20,9 millions, chiffres de la Drees). Mais les évolutions sont disparates selon les départements. Dans un département sur quatre, la fréquentation des urgences a augmenté par rapport à la période d'avant-crise.