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Jamais nous n'avons payé si cher nos lunettes: "les opticiens ont pompé la générosité des mutuelles"

Les Français ont dépensé 5,8 milliards d’euros dans l’achat de leurs paires de lunettes, en 2015.

Les Français ont dépensé 5,8 milliards d’euros dans l’achat de leurs paires de lunettes, en 2015. - Denis Charlet - AFP

Jamais les Français n'ont autant dépensé pour acheter des lunettes, selon une étude de l'UFC-Que Choisir publiée ce vendredi: 5,8 milliards d’euros, en 2015. C'est 50% de plus que la moyenne européenne. Des dérives qui ont des conséquences sur le coût des mutuelles et sur d'autres secteurs de la santé, comme l'explique pour RMC.fr l'économiste Pascal Perri, qui a enquêté sur le marché de l'optique.

Pascal Perri est économiste. Il a enquêté sur le marché de l'optique et ses dérives pour son livre Rien que pour vos yeux (éd. Anne Carrière) paru en 2013. Il intervient régulièrement dans les Grandes Gueules, sur RMC et Numéro 23.

"Les lunettes en France sont vendues trop chères. On a en France des lunettes qui coûtent en moyenne deux fois plus chères que dans les autres pays européens. Les prix sont insincères principalement parce que c'est un marché subventionné par les mutuelles. Et comme tous les marchés subventionnés, la subvention provoque de l'inflation. Puisque les mutuelles s'engagent pour la plupart à rembourser une grande partie des frais d'optique, ces remboursements sont comme une subvention qui encourage les opticiens à augmenter les prix.

Quand on arrive chez un opticien, il vous demande systématiquement si vous avez une mutuelle et combien elle vous rembourse, afin de vous facturer exactement ce montant. Si votre complémentaire vous rembourse pour 400 euros, l'opticien va vous en mettre (sic) pour 400 euros. Les opticiens ont pompé la générosité des mutuelles sans que cela apporte un véritable service médical particulier.

"Un marché subventionné par les mutuelles"

L'autre raison, vient de la conception même des lunettes, avec d'une part une prestation médicale – les verres – et de l'autre une prothèse de mode – la monture -. On est loin du produit médical à 100%. On voit que les opticiens ont tendance à forcer l'achat de marques de mode dans l'assortiment monture-verres, ce qui provoque là aussi une hausse des prix. A cela s'ajoute le fait que dans certains territoires, des opticiens sont en situation de monopole ou de quasi-monopole, donc puisque l'offre est limitée et la demande élevée, les prix augmentent.

Tout cela a des conséquences non négligeables. La première c'est que ça a tendance à renforcer le poids de mutuelles dans le parcours de santé. Or, les mutuelles qui s'engagent sur le remboursement intégral des lunettes réincorporent ce service dans le prix qu'elles font payer aux salariés et aux entreprises qui emploient le salarié, provoquant une inflation dans le coût des mutuelles. Et ce service, elles le déduisent forcément ailleurs.

Du coup, on a parfois des mutuelles très généreuses avec l'optique mais qui le sont moins dans la couverture d'affection de longue durée ou de maladies vraiment graves. Et puis les familles qui ont de faible moyens renoncent aux soins d'optique (2,5 millions de Français avaient renoncé à des soins d'optique – chiffres 2012, ndr).

"Rembourser à 100% les frais d'optique? Une pure folie"

C'est pourquoi la proposition d'Emmanuel Macron et de François Fillon de rembourser à 100% les frais d'optique est une pure folie. Ça ne fera qu'enrichir les fabricants de verres et les opticiens. C'est une très mauvaise nouvelle pour la couverture sociale.

Si on rembourse tout le monde à 100%, on va encourager les consommateurs à consommer toujours plus et comme on a en face de nous des opticiens peu scrupuleux… On va faire des opticiens encore plus riches, et des mutuelles encore plus sollicitées, sans qu'il y ait un vrai service médical supplémentaire. C'est un argument de vente électoraliste qui n'a aucun sens économique."

Propos recueillis par Philippe Gril