Ras le bol du risque zéro !

« Le Parti pris » d'Hervé Gattegno, c'est tous les matins à 7h50 sur RMC du lundi au vendredi. - -
J’aurais pu crier aussi : « Laissez-nous téléphoner tranquille en croquant des concombres ! » On vient d’assister à un de ces emballements absurdes dont nos sociétés démocratiques et surinformées ont le secret. Les autorités ont jeté la suspicion sur les concombres avant toute vérification. Et le rapport de l’OMS les invite déjà à faire de même avec les portables. Pourtant, on sait maintenant que les cucurbitacées ibériques n’en méritaient pas tant (ce qui montre que même pour les grosses légumes, la présomption d’innocence n’est pas toujours respectée); et si vous lisez l’étude de l’OMS, vous comprendrez qu’il n’y a aucune preuve que téléphoner avec un mobile peut provoquer le cancer. En tout cas, pas plus que chauffer son ragoût au micro-ondes ou boire du café en capsule d’aluminium. Sans parler de l’alcool et des cigarettes, qu’on n’interdit pas pour autant.
Est-ce que vous en concluez qu’il faut se moquer de ce type d’alertes ?
On ne peut pas se contenter d’en rire : dans toute l’Europe on va jeter des milliers de tonnes de concombres à cause d’une peur fondée sur du vent – les producteurs, eux, ne rient pas. Et des associations réclament des lois pour interdire les portables au moins pour les enfants. Pourquoi ne pas simplement laisser les parents décider ? Au passage, il faut rappeler qu’avant qu’il soit démontré scientifiquement que les portables peuvent réellement être nocifs, ils auront sauvé de très nombreuses vies (comme celles de ces alpinistes perdus dans des avalanches qui réussissent à appeler les secours). La vérité, c’est que l’obsession du risque zéro tourne au totalitarisme kafkaïen. On peut comprendre les limitations de vitesse pour limiter le nombre de morts sur les routes ou les vaccins obligatoires pour éviter des épidémies. Mais au bout de cette logique, il y a la déresponsabilisation des individus, le refus de l’incertitude et de l’échec qui pourtant, font partie de la vie. Et, du même coup, l’obsession de trouver des responsables, parfois des coupables, à ce qui pourrait être vu comme une fatalité : un accident, une maladie.
Est-ce qu’il n’est pas légitime que les Etats veuillent protéger les citoyens ?
Sûrement mais faut-il protéger les citoyens contre eux-mêmes ? Est-ce que chacun ne peut pas, dans une certaine mesure, choisir ses propres risques ? Le gouvernement peut déconseiller aux Français d’aller au Yémen. Ceux qui y vont quand-même courent un danger. Peut-être faudrait-il qu’en pareil cas, l’Etat n’assure pas leur protection en cas d’enlèvement. Question délicate – comme le choix du fumeur et la prise en charge de sa maladie par la société. Autre exemple : un rapport de l’AIEA [ndlr, agence internationale de l'énergie atomique] indique que le Japon a sous-estimé les risques de tsunami à Fukushima. Personne n’avait prévu des vagues de 14m ! Désormais on le prévoira, mais comment faire si elles dépassent 20m ? Quant à l’amiante, elle a longtemps été considérée comme une matière miraculeuse et protectrice, avant qu’on établisse qu’elle donnait le cancer. C’est peut-être le cas du dentifrice, du bruit des marteaux-piqueurs ou des abricots secs. Et alors ?
Est-ce que vous jugez les politiques responsables de cette dérive ?
Forcément en partie. Ils instillent l’idée fausse qu’on pourrait abolir les risques avec des lois. Jacques Chirac, maître dans l’art de gouverner sans risque (sauf avec la justice), a inscrit dans la constitution le principe de précaution – au nom duquel on aurait pu interdire l’avion ou… les concombres. Les politiques vivent de nos peurs parce qu’ils font profession de rassurer. Sarkozy s’est fait élire sur la promesse de bousculer le pays ; il ne cherche plus qu’à corriger son erreur. Aubry fait tout pour apparaître protectrice, Hollande pour avoir l’air normal. Trente ans après l’élection de Mitterrand, entre ses deux slogans – « la force tranquille » et « changer la vie » –, c’est le premier qui est à la mode. Si d’aventure un candidat reprend le second et qu’il est cru, il y aura un risque : être déçu…
Ecoutez «le parti pris» de ce jeudi 2 juin 2011 avec Hervé Gattegno et Jean-Jacques Bourdin sur RMC :