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Violences en marge d'une manifestation à Paris: l'amertume des soignants face aux casseurs

TÉMOIGNAGES RMC - Plusieurs dizaines de milliers de soignants ont défilé partout en France. A Paris, en fin de cortège, des casseurs ont fait irruption et troublé la manifestation, au grand regret des personnels hospitaliers.

Le sentiment de s'être fait "voler leur manifestation". Il y a beaucoup d'amertume pour les soignants depuis mardi soir. Attendue de longue date, le 16 juin devait être une journée d'action massive, partout en France, pour défendre l'hôpital public et réclamer plus de moyens et une revalorisation de leur salaires, après la crise du coronavirus. 

Mais à Paris, au moment où le cortège rejoint l'esplanade des Invalides, des incidents éclatent: des casseurs font leur apparition. D'un côté, les fanfares jouent encore, l'ambiance est détendue, les soignants discutent entre eux. Mais à quelques centaines de mètres, de l'autre côté de l'esplanade en plein coeur de Paris, les tirs de gaz lacrymogène retentissent. La manifestation est scindée en deux. 

"Il y avait beaucoup de jeunes, ils courraient très vite. Ils étaient tout en noir, équipés de parapluies: ils ont provoqué la police, qui a lancé des lacrymogènes sur les manifestants en blouse blanche. Ce n'est pas normal..." raconte Claude, infirmière, qui a assisté aux premières tensions.

Ces incidents, qui ont éclaté après deux heures de manifestation "bon enfant", écoeurent ces quelques 18.000 soignants à Paris.

"Je suis en colère, j'ai eu peur. On est pas venus là pour jouer notre vie. Je devais travailler, j'étais contente de ne pas être assignée pour revendiquer mes droits. Et je dois partir parce qu'il y a des gens qui font n'importe quoi, qui sont haineux d'autres personnes. Ce n'est pas le but, en fait" dénonce Romane, infirmière en réanimation à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière, qui quitte le cortège à regrets.

Ces débordements sont d'autant plus mal vécus que tous ces soignants sont épuisés par la crise sanitaire sans précédent qu'ils viennent de traverser. Comme si "les casseurs leur avaient volé leur manifestation" où ils étaient venus crier leur colère, comme le souffle Anaïs, derrière son masque.

"On attendait cette date depuis tellement longtemps, on a tellement souffert, on s'est dit qu'enfin, on est là tous ensemble réunis, soudés, unis pour se faire entendre. Non, voir des casseurs, des poubelles qui brûlent, c'est franchement dommage" se désolé l'infirmière aux urgences de l'hôpital Mondor à Créteil.
"C'est insultant: ces jeunes sont là pour casser. Ils savent pourtant très bien que c'est la manifestation des personnels hospitaliers. C'était pour eux aussi, peut-être qu'ils ont eu des proches, dans leur famille, qui ont attrapé le Covid et qui ont été soignés... C'était une manifestation pacifique et je ne comprends pas pourquoi on a ce genre d'exaction", s'indigne Claudine, représentante FO de l'hôpital de Gonesse.

Que sait-on de ces casseurs à l'origine de ces débordements? 

Au moment où la tête du cortège arrive sur l'esplanade des Invalides, 200 à 300 personnes arrivent. Des casseurs tous en noirs, mais également des "gilets jaunes" et des militants d'ultra gauche, selon des sources policières. Ils jettent des projectiles sur les forces de l'ordre, caillassent un bus et retournent une voiture siglée "handicapé". La police réplique alors avec des tirs de gaz lacrymogènes pour disperser la foule, mais la situation se tend rapidement.

On a aussi vu, et les réseaux sociaux ont repris ces images, quelques rares soignants jeter des projectiles avant d'être interpellés. Mais d'après Jean-François Amadieu sociologue, spécialiste des mouvements sociaux, cette violence et lié au contexte du déconfinement et va bien au-delà de la colère des soignants:

"On s'attendait depuis longtemps à une reprise de manifestations agitées avec un retour de "black blocks", de membres de l'ultra-gauche ou de 'gilets jaunes' radicalisés. Le fait qu'il n'y ait plus eu de manifestations pendant plusieurs mois fait que là, l'occasion s'est présentée. Il semble bien qu'il se créé une convergence qui pourrait prendre plus d'ampleur dirigée face aux forces de l'ordre. C'est un élément nouveau par rapport à ce que l'on a connu depuis deux ans" analyse-t-il. 

A noter, enfin, que des dégradations ont aussi eu lieu à Nantes: des tirs de mortiers ont été observés à la préfecture, menés par l'ultra-gauche selon une source policière. Des membres de la mouvance présents également dans les rassemblements de Caen et de Lyon.

Caroline Philippe avec Xavier Allain