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"C’était un viol verbalisé": le témoignage d’une hôtesse qui accuse des pilotes d'Air France

EXCLU RMC. Stéphanie, une hôtesse de l’air, a déposé plainte contre deux pilotes d’Air France pour harcèlement sexuel. Elle témoigne au micro de RMC et dénonce "l’omerta" au sein de la compagnie.

Les faits se sont produits à la fin de l'année dernière, lors d’une soirée entre collègues. Hôtesse de l’air d’Air France, Stéphanie est en escale à Madrid avec un steward et deux pilotes. Ils décident d'aller dîner ensemble et s'installent dans un restaurant. Mais très vite, la discussion dégénère et, toute la soirée, Stéphanie subit ce qu'elle qualifie de "viol verbalisé" de la part des deux pilotes. Très rapidement après cet épisode, elle dénonce les faits à la direction d'Air France et porte plainte pour harcèlement sexuel. Malgré le témoignage du steward, qui la soutient, la confrontation prévue est annulée et la plainte est classée sans suite par la Police aux frontières. Son avocat a décidé de relancer l’affaire. Stéphanie a contacté RMC pour témoigner.  

Le début de soirée: "Il a montré avec ses bras la forme d’un sexe" 

"C’était la première fois que je travaillais avec ces pilotes. Nous sommes extrêmement nombreux à Air France. C’est le hasard des plannings qui fait qu’on travaille ensemble. La seule personne avec qui j’avais volé une fois, c’était mon collègue steward. Quand on s’est retrouvé à 18h30, on s’est baladé près d’une place. J’ai demandé quelle était l’histoire de cette place. Un des pilotes m’a répondu: ‘Cette place est réputée pour tremper des gâteaux dans le chocolat chaud’. Et il a montré avec ses bras la forme d’un sexe. Ensuite, on a tenté de trouver une place dans un bar, pour prendre un verre ensemble. Un des pilotes, quand on a compris qu’on n’avait pas de place dans ce bar et qu’on devait partir, et étant donné qu’il était proche de moi, a dit haut et fort: ‘Oh, c’est dommage, j’avais presque pris Stéphanie par derrière’. Il faut rappeler que je ne connaissais pas ces pilotes. La veille, c’est la première fois que je les voyais. C’est comme ça que ça a commencé. Et le viol verbalisé s’est concrétisé au restaurant. Le ton était donné quand, à peine assis, il a constaté qu’il y avait une femme assise avec son mari. Il a dit : ‘On se la ferait bien’. Moi, j’ai répondu : ‘Ils pourraient parler français, ne parlez pas comme ça’. Une famille était aussi assise à côté de nous. Etant donné qu’on n’était pas très agréable, en tout cas avec ce qu’il se disait, ils ont demandé à changer de table." 

Le dîner: "Il s’imaginait me prenant par derrière" 

"J’ai ressenti ce qui m’était dit comme un viol verbalisé. Les pilotes me décrivaient dans une situation extrêmement pénible. Pour l’un d’entre eux, c’était : ‘Je mets ma tête entre tes cuisses, je te lèche, je m’étouffe’. Et il insistait, toujours en me regardant droit dans les yeux, en me disant qu’il essayait d’enlever ma tête, que j’étais réticente. Et que, comme je n’arrivais pas à enlever sa tête, je le griffais. Il est chauve donc si je réussissais à enlever sa tête, c’était en lui arrachant ses oreilles. Tous ces mots, je les ai pris d’une façon extrêmement brutale. A aucun moment, je n’ai pu m’interposer et dire stop. Je me souviens avoir demandé ce qu’il se passait au deuxième pilote. Celui-ci m’a dit : ‘Mais ça pourrait être une expérience’. Le seul qui a tenté de m’aider, c’est mon collègue steward. Il a tenté de changer de discussion, je m’en souviens très bien. Il m’a dit que mon vernis sur les mains était joli, j’ai baissé mon regard et je me suis dit ‘pourvu qu’on bascule sur une autre discussion’. Mais, en vain. Ça continuait non-stop. (…) Il a commencé à me parler de mes yeux, de mes cheveux, de ma bouche, s’imaginant me prenant par derrière, et que je serais certainement le genre de femme à venir très rapidement. Tout ceci était extrêmement choquant et s’est fait en public puisque le restaurant était bondé."  

L’impact psychologique: "Mon cerveau a disjoncté" 

"Ce qui m’a fortement perturbée, c’est quand le médecin-légiste (qui établit le rapport médico-légal dans le cadre de l’enquête, ndlr) m’a expliqué la situation. Pour mon cerveau, j’étais violée. Et donc il s’est mis en off. J’étais tout sauf au restaurant. Je ne pouvais pas trouver la force de répondre puisque j’étais complètement sidérée. Devant moi, j’avais des pilotes, des supérieurs hiérarchiques, qui riaient. Mon cerveau voyait des personnes qui riaient mais ce que j’entendais était un viol verbalisé. Mon cerveau a disjoncté. Les agresseurs riaient, tout était joyeux pour eux. Les bouteilles de vin étaient posées à même le sol." 

La procédure d’Air France: "Aujourd’hui, mes agresseurs travaillent normalement" 

"Une fois qu’Air France, en tout cas ma hiérarchie directe, a été prévenue, il a été déclenché le process de protection du salarié contre le harcèlement sexuel. Là, oui, j’ai été soutenue par ma hiérarchie. On m’a tout de suite appelée, j’ai aussi été contactée par une psychologue à plusieurs reprises. Le psychiatre m’a aussi appelée, on a discuté. Air France a pris très au sérieux le signalement que j’ai fait deux jours après."

"On m’a délivré une attestation ‘no fly’. C’est une procédure interne à Air France. Cette attestation me permet de refuser de travailler avec ces deux pilotes. Ça veut dire que la personne agressée doit se soumettre au planning. Les pilotes continuent de voler. Si jamais je suis programmée avec eux, c’est à moi de débarquer mais eux peuvent continuer le vol. Pour eux, le planning de vol est tout à fait normal. C’est à moi de partir, mais pas à eux. Une enquête interne a été ouverte, dès mon signalement, début décembre. Nous sommes en mai et les pilotes continuent de voler. Je ne sais pas s’ils ont été arrêtés, ne serait-ce que temporairement. Aujourd’hui, mes agresseurs travaillent normalement. Et moi, je continue à aller travailler avec cette attestation ‘no fly’ qui est valable pendant un an. J’ai l’impression que ce signalement n’a pas été pris assez au sérieux. J’ai le sentiment que les pilotes sont protégés, qu’on peut être agressé par un collègue commandant de bord et qu’il n’y aura pas de suites."  

Le manque de soutien: "Il doit y avoir une omerta à Air France" 

"Air France fait des campagnes en interne contre le harcèlement sexuel. Concrètement, j’ai été agressée en décembre et les pilotes volent toujours. Je dirais qu’il y a une omerta à Air France. J’ai des collègues qui me disent : ‘Tu devrais faire attention. En déposant plainte contre des pilotes, tu fais une croix sur ta carrière. Ils sont extrêmement puissants, leurs syndicats aussi’. Par contre, les jeunes hôtesses, les nouvelles arrivées, me soutiennent bien plus que les anciennes. Il doit y avoir une omerta à Air France. Ces faits-là sont peut-être communs à Air France. Moi, je suis nouvelle à Air France et ça me choque. Ça m’a blessée, heurtée, scandalisée. Je suis en colère parce que ça peut arriver à d’autres.  

LP avec Marie Dupin, Anne-Lyvia Tollinchi et Joanna Chabas