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Un Français sur deux ignore qu'il a droit à ses aides sociales: "On est loin de la France des assistés"

Une CAF

Une CAF - PASCAL GUYOT / AFP

C'est la double peine pour les plus modestes. Une enquête inédite, réalisée par le cabinet de sociologie Adjuvance, montre les failles béantes du système d'aides sociales. Complexité, manque d'information… Un Français sur deux éligible aux aides sociales ignore qu'il y a droit. Nicolas Menet, sociologue, dénonce à RMC.fr le caractère opaque et déshumanisé de ce système très lourd.

Nicolas Menet est sociologue et dirigeant du cabinet Adjuvance.

"Notre enquête montre que 34% des personnes éligibles aux aides -personnes âgées de plus de 60 ans, familles ayant un besoin d'aides ponctuelles, une grossesse pathologique, une hospitalisation d'enfant…- ne les sollicitent pas alors qu'elles y ont droit. Parmi elles, 49%, soit un sur deux, ne le font pas parce qu'ils ignorent même qu'elles existent. C'est un chiffre éloquent, qui prouve qu'il y a un déficit d'informations.

49% n'ont jamais entendu parler des aides auxquels ils ont droit

Sur le terrain, les gens nous ont dit leurs problèmes. 49% n'avaient jamais entendu parler de ces aides. On entend "vous m'apprenez que ça existe, que je suis éligible", "je n'ai jamais pensé à solliciter cette aide, alors que j'en ai bien besoin".

23% nous disent "oui, j'ai vaguement entendu parler de ces aides, mais on n'est pas des assistés dans la famille, on se débrouille par nous-mêmes". Ils refusent consciemment de toucher ces aides, c'est-à-dire qu'on est loin de la "France des assistés".

Cela peut aussi devenir dangereux pour les personnes âgées qui veulent rester autonomes jusqu'au bout, qui vont faire une mauvaise chute, et finir à l'hôpital en urgence, en Ehpad, ce qui coûte beaucoup plus cher que de maintenir une personne à domicile avec un plan d'aide.

16% renoncent ou se sont fait "rembarrer"

16% nous disent qu'ils ont essayé de faire un dossier mais se sont fait "rembarrer par l'administration, la CAF", ou alors "l'assistante sociale n'était pas sympa, j'ai laissé tomber"... Des gens qui sont éligibles mais qui renoncent à solliciter des aides à cause de la complexité administrative.

Vous êtes une personne âgée de plus de 60 ans, une famille dans le besoin, et la complexité administrative est telle, avec des pièces justificatives, des allers-retours sans fin, qu'au bout d'un moment vous allez renoncer.

Et enfin, 16% dit "je suis au courant et quand j'ai vu le prix qu'il me restait à payer, j'ai renoncé". Par exemple, si vous êtes éligible à un plan d'aide à domicile, vous êtes subventionné, mais dans certains départements vous allez devoir en payer une partie. Ce n'est pas une grosse charge, de 4 à 12 euros de l'heure, mais en voyant le devis, certains renoncent. Le prix subventionné varie avec les départements. En Haute-Savoie, vous êtes complètement pris en charge.

Moins les gens demandent des aides, plus elles se raréfient

Or, le système de subventions aux services sociaux et aux associations se raréfie justement parce qu'il n'est pas sollicité. Et comme ces aides ne sont pas demandées, les dotations d'Etat ne sont pas renouvelées. Si on enlève des dotations à ces structures qui détectent la fragilité des personnes, c'est toute une partie de la population va se fragiliser davantage.

Et il y aura un effet boomerang: ce ne sera pas une seule personne âgée qui va faire une mauvaise chute, ce sera dix. Et le coût d'un lit d'hôpital coûte entre 800 et 6000 euros en fonction des pathologies

"Il y a de la rétention d'informations"

Il y a de la rétention d'informations. Quant à dire que ce système est volontairement opaque pour éviter de verser les aides, il faudrait une Elise Lucet pour le prouver. Mais c'est une hypothèse très forte.

Certains travailleurs sociaux vous diront qu'il y a probablement une rétention d'information organisée. Elles sont peut-être décidées dans les instances supérieures, mais personne n'en a la preuve, aucun document ne le dit.

Mais comme chaque famille doit déclarer sa grossesse à la CAF ou la CPAM pour toucher une aide à la parentalité à laquelle elle a droit, pourquoi est-ce qu'à ce moment-là on n'a pas aussi une information obligatoire? C'est quelque chose qui ne coûte rien, mais qui n'existe pas.

"La personne est traitée comme un dossier"

Pourquoi est-ce si compliqué? La sphère sociale avec les travailleurs sociaux, et la sphère administrative avec les techniciens qui traitent les dossiers, ne se parlent pas entre elles. Elles ne sont pas formées dans les mêmes écoles. Or, une famille en situation d'extrême fragilité, qui sera détectée par une assistante sociale, va devoir à un moment elle-même solliciter les dossiers. Et c'est là que les complexités commencent.

Il y a une très grosse lourdeur administrative. Comme on sollicite de l'argent public, on a beaucoup de justificatifs à apporter, et si on est fragile et précaire, on n'a pas forcément une gestion précise de sa vie, on ne trouve pas les dossiers… On a des familles qui cumulent les handicaps, les problèmes économiques, et ont la crainte qu'on leur retire leurs enfants, ou des personnes âgées qui sont rétives à accepter leur vieillissement. Et la personne est traitée comme une dossier, plus comme une personne."

Comment améliorer le système d'aides sociales ?

Commanditaire de l'étude, Adessadomicile, qui fédère 350 structures d'aides à la personne, préconise cinq pistes pour remédier à ces dysfonctionnements:

  • Une meilleure communication aux administrés sur les aides sociales.
  • Autoriser les services à domicile à contribution aux politiques publiques de prévention.
  • Former les futurs et actuels cadres administratifs à ces dispositifs d'aides.
  • Rendre obligatoire l'envoi d'informations aux familles sur les aides à la parentalité
  • Mieux contrôler les fonds dédiés aux personnes âgées et handicapées
Propos recueillis par Paul Conge