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Une grève illimitée votée au journal La Provence après la "mise en retrait" du directeur de la rédaction

Le siège de La Provence, en 2012.

Le siège de La Provence, en 2012. - ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP

Les journalistes de La Provence ont voté ce vendredi à 79% une grève illimitée afin de dénoncer la "mise en retrait" du directeur de la rédaction, Aurélien Viers. La direction du quotidien lui reproche la une publiée jeudi ayant attrait à la visite du président Emmanuel Macron à Marseille, sur fond de trafic de drogue, jugée ambiguë.

Les journalistes du quotidien régional La Provence ont voté ce vendredi 22 mars à 79% pour une grève illimitée. Ces derniers dénoncent une "ingérence éditoriale inadmissible" après la "mise en retrait" du directeur de la rédaction, Aurélien Viers, à la suite de la une parue jeudi sur la visite d'Emmanuel Macron à Marseille, jugée "ambiguë" par la direction.

Le journal, propriété de l'armateur CMA CGM, ne paraîtra pas à partir de samedi. "C'est une ingérence éditoriale inadmissible, on ne peut pas laisser passer cela", a réagi auprès de l'AFP Audrey Letellier, déléguée syndicale du Syndicat national des journalistes (SNJ), majoritaire au sein de la rédaction.

"Il (Emmanuel Macron, NDLR) est parti et nous, on est toujours là...", titrait jeudi le journal basé à Marseille, reprenant les mots d'un habitant cité en page intérieure. Un titre surmontant une photo montrant deux personnes, de dos, regardant passer des policiers en patrouille dans une cité paupérisée de Marseille, 48 heures après la visite surprise mardi du président de la République, pour une opération "place nette XXL", décrite comme sans précédent contre le narcotrafic.

Le journal a présenté ses "profondes excuses"

À la suite à cette publication, le directeur de la rédaction Aurélien Viers a été mis à pied pour une semaine, a indiqué la direction à l'AFP, confirmant une information du syndicat SNJ majoritaire dans l'entreprise, qui évoque également une convocation pour entretien préalable à licenciement, ce qui est la règle en la matière, sans préjuger de l'issue.

Dans un encart "A nos lecteurs" publié vendredi en Une du journal, le directeur de la publication, Gabriel d'Harcourt, présente les "plus profondes excuses" du journal suite à cette publication, qui a "induit en erreur nos lecteurs".

"Le problème vient de la construction de la une"

"Cette citation en Une et la photo d'illustration qui l'accompagnait ont pu laisser croire que nous donnions complaisamment la parole à des trafiquants de drogue décidés à narguer l'autorité publique, ce qui ne reflète en rien les valeurs et la ligne éditoriale de votre journal", écrit-il.

En pages intérieures, dans un des articles sur les suites de la visite présidentielle, titré "La Castellane, le jour d'après", cette citation était cependant attribuée à un habitant de cette cité excentrée et gangrenée par la violence du narcotrafic: "C'est drôle, réagit Brahim, hier (mardi) ils ont trouvé tous les moyens nécessaires pour encadrer la visite du président. Il est parti, et nous on est toujours là, dans la même galère".

D'autres articles évoquaient la "guérilla sur le terrain de la com'" entre dealers et ministère de l'Intérieur, ou "les coulisses d'un show présidentiel improvisé". Mais même si la citation est correctement attribuée en page intérieure, "le problème vient de la construction de la Une", a déclaré Gabriel d'Harcourt, jugeant celle-ci "ambiguë" et pouvant "entraîner cette interprétation", notamment avec un surtitre "Narcotrafic: 24 heures après la visite du président à la Castellane". "Le reste du traitement rédactionnel est très bon", a-t-il assuré.

La décision a "scandalisé la rédaction", selon une représentante du SNJ, qui a convoqué à la mi-journée une assemblée générale des personnels, proposant un mouvement de grève illimité pour réclamer la levée des sanctions contre Aurélien Viers, arrivé début 2023 à la tête de la rédaction.

Jugeant les explications de la direction "surréalistes", cette représentante du SNJ a estimé qu'il s'agissait d'un "prétexte". "On sait qu'hier (jeudi) il y a eu des pressions politiques et que Gabriel d'Harcourt a été convoqué à la tour", a dit cette source à l'AFP, en référence au gratte-ciel du siège marseillais de l'armateur CMA CGM, propriétaire du journal.

Interrogé par l'AFP, Gabriel d'Harcourt a réfuté toute pression. "C'est une décision que je prends, avec Jean-Christophe Tortora (patron de WhyNot Media, la filiale médias de l'armateur CMA CGM) et Laurent Guimier (patron de l'information de WhyNot Media)", a-t-il dit.

Note de la rédaction: Le titre La Provence est la propriété de CMA CGM Médias, détenu par Rodolphe Saadé, lui-même entré en négociations exclusives en vue d'un rachat d'Altice Media, maison mère de RMC et BFMTV.

RMC avec AFP