Suicides à France Telecom: "Il fallait faire partir 22.000 personnes, peu importe les moyens"
Le 26 avril 2011, Rémy, cadre à France Télécom se suicide. Sur le parking d'un site de l'entreprise à Mérignac, il s'immole par le feu. Ce cadre de 56 ans avait travaillé 30 ans à France Télécom. Un acte qui s'inscrit dans une série d'autres suicides de salariés dans l'entreprise à partir de 2008.
Près de dix ans plus tard, le parquet de Paris s'est prononcé en faveur d'un procès pour harcèlement moral à l'encontre de la société France Télécom, devenue Orange, de son ex-patron Didier Lombard et de deux autres dirigeants. Un juge d'instruction doit désormais décider de la tenue d'un procès ou non mais pour Raphaël, le fils de Rémy cette annonce est déjà un "soulagement". Son père fait partie des 39 victimes citées dans le dossier: 19 se sont suicidées, douze ont tenté de le faire et huit salariés ont subi un épisode dépressif. Raphaël regrette toutefois que le parquet ne soit pas allé plus loin.
"On avait porté plainte aussi pour mise en danger de la vie d'autrui et pour homicide involontaire. On trouve que vu ce qui s'est passé et pas seulement pour mon père, pour des tas d'autres, c'est trop grave pour se limiter à ça", déplore-t-il.
"Ils savaient qu'ils allaient les pousser à bout"
Dans cette affaire, la direction est accusée d'avoir utilisé des méthodes managériales extrêmes pour pousser les salariés à partir du groupe. Alors qu'un plan social est engagé, Didier Lombard, l'ancien PDG avait donné le ton en 2006 devant des cadres du groupe: "Je ferai les départs d'une façon ou d'une autre, par la fenêtre ou par la porte."
"Il y a des gens qui se sont assis autour d'une table qui ont conçu deux plans, ils se sont dit qu'il fallait faire partir 22.000 personnes de l'entreprise et peu importe les moyens, ils savaient qu'ils allaient les pousser à bout. Quand ils ont su qu'il y en avait qui se sont donné la mort, ils ne se sont pas arrêtés", dénonce Raphaël.
Des méthodes qu'a subi son père rapporte-t-il. Après 30 ans dans l'entreprise, il occupait avant de mourir le poste de "préventeur" et était chargé de s'occuper des conditions de travail des autres salariés. En réalité, il avait été "placardisé" selon sa famille. "Il a changé de nombreuses fois de poste. La police judiciaire nous l'a appris, quand ils ont été saisir ses affaires à son poste de travail, il n'avait pas de bureau, pas de placard pour ranger ses dossiers, il n'avait pas de ligne de téléphone fixe", raconte-t-il.
"Il faut qu'ils répondent de leurs actes"
D'autres témoignages ont révélé des techniques similaires: des incitations répétées au départ, des changements de poste intempestifs ou l'attribution de missions dévalorisantes après une suppression de poste.
"Et pour faire ça, ils ont embauché des gens ils les ont formés à virer les gens par tous les moyens et ils les ont payés. Des managers avaient des parts variables à la fin de l'année sur le nombre de personnes qu'ils avaient viré", assure Raphaël.
Des documents internes à France Télécom rapportent que le nombre de départ était intégré aux objectifs des cadres. Désormais, Raphaël espère qu'un procès se tiendra, "il faut qu'ils s'expliquent, il faut qu'ils répondent de leurs actes".