Une "taxe Google" à la française? "On ne peut pas continuer à manger dans l’assiette du voisin"

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Nathalie Estavoyer, hébergeur en chambres d’hôte dans le Jura
"Tous les hôteliers paient 17% de commissionnement à Booking, sur le montant TTC et non hors-taxe des hébergements. Quand je vois ce que je donne en fin d’année, j’imagine les hôtels qui ont 50, 60 ou 200 chambres, ça doit être monstrueux. Mais cet argent part aux Pays-Bas, il n’est pas reversé en France. La facturation vient des Pays-Bas, je paie aux Pays-Bas. Donc eux ne paient pas de TVA à l’Etat français.
On a envie que notre travail profite à l’Etat français. Maintenant, à chaque fois que je vois des clients néerlandais je me dis ‘purée celui-là…’. Bien sûr que je les reçois bien, mais on voit bien que les Néerlandais ont un pouvoir d’achat qui est devenu monstrueux, parce que beaucoup d’entreprises sont basées dans ces pays-là, où il y a une fiscalité beaucoup plus attractive qu’en France. Donc ils paient une TVA de tout ce qui émerge, mais chez eux.
"J’appelle ça du maquereautage: on ne paie rien et on s’en met plein les poches"
Ma facture est adressée à Amsterdam, et je paie le virement du commissionnement qui peut aller en haute-saison jusqu’à 1500 euros par mois. C’est mon salaire! Bien entendu, on nous dit qu’on n’est pas obligé de travailler avec Booking. Mais qu’ils paient leurs charges raisonnablement en France! J’appelle ça du maquereautage: on ne paie rien et on s’en met plein les poches.
Ce que je dis à mes clients tous les jours, c’est d’aller voir sur Booking, ou Tripadvisor, vous allez voir les commentaires, les photos. Mais vous passez en direct avec l’hébergeur, vous réservez directement sur nos sites. Le mien est fait pour réserver. Il faut appeler! On peut donner des compléments d’information qu’il n’y a pas sur ces grandes plateformes. Moi j’ai fini par augmenter mes prix sur Booking pour que ce soit plus attractif, et que les gens viennent chez moi directement. Je peux faire un prix sur des prestations supplémentaires: on est des commerçants, on sait faire des offres attractives directement.
"Pourquoi passer par Booking quand on peut faire autrement?"
En plein été, 60% des réservations viennent de Booking. Je suis dans un endroit où c’est très touristique, le Jura est magnifique, il est très demandé. Et c’est une voie de passage pour les Européens du Nord, qui font étape ici pour aller plus bas dans le sud ou en Espagne. Néanmoins les clients qui veulent réserver doivent changer leurs habitudes. Pourquoi passer par Booking quand on peut faire autrement?
Nous on travaille pour payer nos charges, et en fin de bilan on prend les miettes qui restent. C’est pour ça que j’ai dû un double-emploi l’après-midi. Ce serait bien de les taxer. On ne peut pas continuer à manger dans l’assiette du voisin comme ça. Quand on crève tous la faim, tout le monde doit mettre la main au porte-monnaie. D’ici quelques temps, il n’y aura plus de chambres d’hôtes comme on en trouve partout. C’est sympa, les gens font des efforts pour accueillir des gens, on est des vendeurs de nuit, il y a des hébergements de qualité. Mais ces gens-là sont voués à s’arrêter. Donc ce serait bien qu’on commence à récupérer l’argent qu’on nous doit."
Booking se veut "exemplaire"
Contacté, Booking.com confirme être établit aux Pays-Bas, et à ce titre y payer des impôts. "La société est née là-bas et le fonctionnement fiscal est hyper-clair. Notre service est fait depuis les Pays-Bas, où sont salariées 4000 personnes", indique-t-on chez Booking. En France, ce chiffre tourne selon la société autour de 600 personnes, principalement pour des fonctions supports et de service client, sur lesquelles Booking.com paie des cotisations. En décembre 2015, le fisc français a lancé une procédure contre la société et lui réclame 356 millions d’euros au titre de l’impôt sur les sociétés et la TVA pour la période 2003-2012. "La procédure est toujours en cours", indique-t-on chez Booking.com, qui fait valoir "une différence d’appréciation" sur la domiciliation de l’activité de la société: "ce n’est pas lié à une fraude, on paie déjà des impôts aux Pays-Bas, on essaie d’être exemplaire, on ne veut pas payer deux fois".