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"Expliquez-nous": pourquoi des auteurs de l'étude controversée sur l'hydroxychloroquine de "The Lancet" se rétractent-ils?

Tous les matins à 7h50, Nicolas Poincaré propose sur RMC une chronique pédagogique mais personnelle sur une actualité du jour.

Fin de partie pour l'étude controversée doutant de l'hydroxychloroquine. Cette fameuse étude de "The Lancet" autour du traitement contre le coronavirus est définitivement discréditée. Jeudi soir, trois de ses quatre auteurs se sont eux même rétractés.

C'est l'histoire d'un naufrage scientifique: l’étude avait été publiée le 22 mai par la prestigieuse revue scientifique anglaise, "The Lancet". L’article se basait sur l’analyse des cas de 96.000 patients dans 671 hôpitaux du monde entier. Et le résultat, avec des nuances et des précautions: la chloroquine n’avait pas d’effet positif sur les malades hospitalisés, que la molécule soit ou non associé à un antibiotique. Au contraire même: on comptait plus de morts parmi les malades traités avec la chloroquine que parmi les autres.

Et cette étude a eu un retentissement mondial et des conséquences immédiates. L’OMS a demandé l'arrêt de tous les essais cliniques en cours. En France, le ministre de la Santé a interdit la prescription de la chloroquine pour le traitement du Covid-19. Tout cela entre le 22 et le 26 mai.

Puis sont venus les doutes, les critiques: une lettre ouverte de 120 médecins doutaient du sérieux de l’étude. Puis la revue scientifique, elle-même, a émis des réserves mercredi. Le terme utilisé: "L’expression d’une préocupation". Et puis jeudi soir, c'est le coup de grâce. Trois de quatre auteurs demandent le retrait de leur propre article.

Que disent ces auteurs pour expliquer leur revirement? 

"Nous ne pouvons plus nous porter garants de la véracité des sources des données primaires", écrivent les trois auteurs au Lancet, mettant en cause le refus de la société les ayant collectées, dirigée par le quatrième auteur, de donner accès à la base de données. 

Ils auraient en effet voulu avoir accès à toutes les données brutes pour répondre aux nombreuses critiques. Mais le quatrième auteur leur a refusé l'accès à ces chiffres. Il s'agit d'un spécialiste de médecine cardiaque mais aussi - et surtout - le patron d’une entreprise de collectes et d’analyses de données médicales. Une entreprise récente et un peu mystérieuse qui a eu très peu d’activités jusqu’à présent.

Ce médecin et entrepreneur britannique refuse de communiquer les données brutes parce qu’il a signé un accord de confidentialité avec les hôpitaux. Résultat: plus personne ne lui fait confiance aujourd’hui. D’autant qu’il y a dans les chiffres publiés de nombreuses invraisemblances 

Raoult et les "pieds nickelés" de la science

Et tout cela donne raison au professeur Raoult. Le spécialiste français avait raison quand il doutait de l’étude, quand il disait qu’elle était faite par des "pieds nickelés" de la science, qu’elle était tellement “foireuse” que c'en était comique. Il avait inventé le terme du "Lancet Gate", le scandale du Lancet. 

Cela dit si cette étude ne permet pas de conclure a l'inefficacité de la chloroquine, il n’y a toujours pas non plus d’études reconnues qui prouvent le contraire. La cacophonie se poursuit et on reste dans le brouillard, bien incapable de trancher sur ce médicament qui déchaîne les passions. 

C’est en tout cas un échec par cette revue scientifique. Cette vénérable revue va bientôt fêter ses 200 ans, créé par un chirurgien anglais en 1823, Thomas Wakley, qui militait contre la corruption des médecins ou contre l'homéopathie. C’est dans "The Lancet" qu’on a publié la découverte des antibiotiques, de la première échographie, de la transmission du Sida. 

Aujourd’hui, c’est une "machine à cash", pour reprendre le titre d’une enquête du monde l’année dernière. Le journal, hebdomadaire, appartient à un groupe anglais qui publie 2.500 revues scientifiques, qui affiche des bénéfices d’un milliard par an. C’est colossal. C’est surtout une des quatre publications scientifiques de référence dans le monde, avec un comité de lecture. C’est à dire que chaque article soumis a publication est relu par un groupe d’experts qui le valide ou pas.

Des experts qui vont maintenant devoir s’interroger et essayer de comprendre leur échec: un fiasco dû à la volonté d’aller vite. C’est un désastre pour la crédibilité de la publication scientifique… 

Nicolas Poincaré