Bruxelles: "Nos renseignements sont moins faits pour l'antiterrorisme que pour le contre-espionnage"
La série d'explosions de ce mardi matin à Bruxelles, à l'aéroport puis dans le métro, ont conduit le gouvernement belge à relever le niveau de l’alerte anti-terroriste à son maximum. En France aussi, les mesures de sécurité ont été renforcées une nouvelle fois dans les grands aéroports. Mais pour Alain Bauer, professeur de criminologie, ce n'est pour autant pas suffisant. Ce mercredi sur RMC, il souligne en effet que "les principaux services de sécurité qui ont évolué dans les aéroports, notamment israéliens, utilisent beaucoup de physionomistes et moins des équipements techniques ou technologiques".
"Le fétichisme technologique et technique a ses charmes mais aussi ses limites, estime-t-il. Alors que le physionomiste qui regarde les comportements atypiques, les détails, à l'intérieur ou devant les caméras de vidéosurveillance, est aussi efficace. C'est le retour à l'humain comme sur le renseignement et sur l'antiterrorisme. Mais pour entrer dans ce processus, il faut avoir vécu des crises terroristes considérables, ce qui est le cas d'Israël, de la Turquie et d'un certain nombre de pays arabes".
"Nous avons sacrifié la sécurité à la rapidité"
"Les principes de sécurité ont été inventés par Sun Tzu ("L’art de la guerre") et Vauban (ingénieur, architecte militaire et essayiste français), ce qui ne date pas de la semaine dernière, analyse encore Alain Bauer. Ils se résument ainsi: périphérie, périmétrie et compartimentage.
- Périphérie: on doit contrôler le plus loin possible pour être alerté le plus tôt possible. C'est-à-dire non pas au moment de l'embarquement dans l'aéroport mais au moment de l'entrée dans l'aéroport.
- Périmétrie: on doit contrôler au moment le plus important. Ainsi, quand vous embarquez dans l'avion, vous avez déjà eu une première mesure.
- Compartimentage: une fois que vous êtes dans votre salle de bains, vous n'êtes pas obligé d'arriver jusque dans la chambre à coucher [le fait de diviser les espaces pour limiter les dégâts, ndlr].
"Ces trois mécanismes, nous les avons démontés depuis les années 1970, poursuit cet expert en question de sécurité. Ils étaient pourtant la nature même de la plupart des constructions des sites sensibles. Nous avons donc décidé que, désormais, la fluidité, l'interconnexion, la rapidité, la masse, le flux étaient absolument indispensables et qu'il fallait tout accélérer. Or, la sécurité cela ralentit car contrôler prend du temps. Donc pour éviter de perdre du temps nous avons décidé de sacrifier la sécurité à la rapidité. Aujourd'hui, nous sommes en train de nous rendre compte qu'il faut faire l'inverse".
"Le but n'est pas d'arrêter l'auteur des attentats mais qu'il n'y ait pas d'attentats"
Pour autant, le risque zéro existe-t-il vraiment? "Non", assure Alain Bauer sur RMC tout en estimant que "le tout technologique ne le permettra pas non plus. Il faut beaucoup d'humain et de technologique. Il faut donc revisiter le concept général de sûreté et donc accepter que le temps redevienne un atout et non un ennemi". Et le criminologue d'ajouter: "Un système ne peut pas être mi-ouvert, mi-fermé. Il est soit fermé, soit ouvert et quand il est fermé, il faut assumer le fait qu'il le soit entièrement et que tout soit contrôlé. Beaucoup de pays le font, avec plus ou moins de succès, nous, nous ne sommes pas encore arrivés à ce niveau".
"Il faut à la fois du contrôle statique qui fixe et du contrôle non visible qui regarde les comportements. D'où l'usage de physionomistes qui regardent les mouvements, insiste Alain Bauer. C'est le cumul de l'habituel et de l'inopiné qui donne de bons résultats". Interrogé encore sur l’efficacité de la coopération des services de renseignement, le criminologue considère que le "renseignement doit être pro-actif: le but n'est pas d'arrêter l'auteur des attentats mais qu'il n'y ait pas d'attentats. Or nos services de renseignements, dans tous l'Occident, ne sont pas faits pour l'antiterrorisme. Ils sont faits pour le contre-espionnage".
"Ce n'est pas un problème quantitatif mais qualitatif"
"Le contre-espionnage, c'est deux cultures, poursuit Alain Bauer. Tout d'abord, le temps long: il faut remonter à la tête de la filière et pendant ce temps-là on fait tout pour ne pas effrayer. Ensuite, il y a le secret absolu: il faut protéger ses sources. L'antiterrorisme, c'est exactement l'inverse. Le temps est court, il faut agir vite, et le partage est absolu, il faut tout partager avec tout le monde".
"Comme nous n'avons pas de culture de l'antiterrorisme, on fait ce qu'on sait faire. On partage peu, voire strictement rien, alors même que l'on est submergé par l'information, déplore encore le spécialiste sur les questions de sécurité. Il faut donc mettre en place une révolution culturelle. Ce n'est pas un problème de techniques ou de moyens. Ce n'est pas un problème quantitatif mais qualitatif".