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"Crayon de bois" ou "crayon gris": Un moyen d'affirmer son identité régionale

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- - Editions Armand Collin.

Dans L'Atlas du français de nos régions (éd. Armand Colin), le linguiste Mathieu Avanzi a compilé les cartes des zones d'influence de certains mots, expressions ou prononciations.

Mathieu Avanzi est docteur en sciences du langage. Il est l'auteur de L'Atlas de nos régions (éd. Armand Colin), qui compilent des cartes des zones d'utilisation de certains mots, expressions ou prononciation.

"A la base, "Le Français de nos régions", c'est un blog. On a commencé par faire une grosse enquête sur internet il y a deux ans. On voulait exploiter le potentiel des réseaux sociaux pour demander à des francophones, et pas qu'à des universitaires, de répondre à des petites questions sur leur usage des mots régionaux, des expressions et des prononciations. On s'était dit qu'avoir les réponses de 1000 personnes, ce serait chouette. Et puis finalement, 12.000 personnes ont répondu à la première enquête. Elle portait sur les noms de la serpillière. C'est un cas classique qu'on donne aux étudiants en linguistique. 

Au bout de deux ans on a eu assez de cartes pour en faire un bouquin, plutôt que de faire des articles inaccessibles et illisibles pour quelqu'un d'autre qu'un universitaire. On a bien senti le potentiel "buzz" quand on a commencé. Mais on a quand même été surpris de l'accueil des gens qui relayaient ça sur les réseaux sociaux. Ce week-end, ça s'est chamaillé sur notre carte des crayons. Ça a marché parce que c'est la première fois que ça a été cartographié. Avant, on ne pensait pas que c'était régional.

C'est un contrepoint à cette espèce d'uniformisation qu'on est en train de subir. Les gens en envie d'affirmer leur identité régionale. Et ça, c'est difficile dans un pays comme la France, où les provinces ont été supprimé au 17e siècle. Les gens n'ont plus grand-chose à quoi se raccrocher. Ils n'ont plus de dialecte, plus de langue régionale. Et ils n'ont pas grand-chose pour se dire 'je suis Savoyard' ou 'je suis Toulousain'. Le dernier truc qui leur reste, c'est le langage. Pour un Toulousain dire 'chocolatine' c'est affirmer son identité par le langage.

La transmission se fait de plusieurs façons différentes. Dans les dictées, certains instituteurs vont insister sur la prononciation de certains mots. Dire 'vingt' en prononçant le 't', ça peut aider les gamins à se souvenir qu'il y en a un à la fin. Mon père dit 'adieu' pour dire 'bonjour', par exemple. Il y aussi des mots qui se transmettent par la mère, comme le vocabulaire domestique.

Pour un chercheur, il y a un aspect très intéressant autour de la sauvegarde de la langue et de son évolution. Pour d'autres spécialistes, l'intérêt c'est la question de savoir quel français on enseigne aux étrangers. Enfin, il y a un côté un peu plus 'dangereux', qui est c'est celui de reconnaître l'origine en fonction de la parole. Avec votre façon de parler, est-ce qu'on peut savoir d'où vous venez?

On a longtemps dit que le meilleur français était celui de Paris ou celui de Touraine. C'est simplement que c'est l'endroit où les patois ont disparu le plus vite parce qu'ils étaient très proches du français. Mais de plus en plus, les dictionnaires ajoutent des mots régionaux. Et de plus en plus, on défend des normes régionales comme on défend des produits régionaux".

Propos recueillis par Antoine Maes