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Et si l'Europe faisait un chèque de 770 euros à chaque habitant: c'est quoi la théorie de la "monnaie hélicoptère"?

EXPLIQUEZ-NOUS - Et si l’on distribuait directement de l’argent aux européens? C’est la recommandation faite mercredi par le conseil d’analyse économique qui prône la politique de la "monnaie hélicoptère".

C’est une théorie économique inventée par l’économiste le plus connu du 20e siècle, l’américain Milton Friedman. En 1969, il avait commencé un article ainsi: "Supposons qu’un jour un hélicoptère survole une commune et largue mille dollars en billets, que se passerait-il ?" Friedman expliquait que les gens ramasseraient les billets et les dépenseraient et cela relancerait la consommation.

Friedman était le chantre du libéralisme: il était contre toute intervention de l’Etat dans l’économie et donc contre les plans de relance. Son histoire d'hélicoptère qui jette du cash par les fenêtres, c’était une démonstration par l’absurde, presque une plaisanterie dans son esprit. Sauf que, depuis 50 ans, d’autres économistes se sont sérieusement emparés de la théorie et prônent la relance de l’économie par la distribution directe d’argent aux citoyens.

Et c’est ce que les américains ont fait pour répondre à la crise du Covid

Dès le printemps 2020, c'est-à-dire au tout début de l’épidémie, Donald Trump a voulu relancer la machine économique américaine qui était à l'arrêt. Et il a fait envoyer un chèque à 140 millions de contribuables américains. Un chèque de 1.200 dollars, 1.100 euros, plus 500 dollars par enfant à charge. L’ancien président avait insisté pour que sa signature figure sur le chèque. C’était sans doute la première mise en place massive de la "monnaie hélicoptère".

A peine élu, son successeur Joe Biden est allé plus loin. Son plan de relance prévoit un chèque de 1.400 dollars, 1.280 euros pour tous ceux qui gagnent moins de 80.000 dollars par an. C'est-à-dire la grande majorité des américains.

Et il n’y a pas besoin d'être citoyen américain pour recevoir ce cadeau, il suffit de payer des impôts aux Etats-Unis, ce qui veut dire que les immigrés touchent aussi le chèque.

Qui sont les économistes qui proposent de faire la même chose en Europe?

Ce sont trois économistes qui ont publié une note au nom du Conseil d’Analyse économique. Un organisme de réflexion présidé par le Premier ministre et dépendant de Matignon. La note est signé par le président de ce conseil, Philippe Martin qui était en 2016, un des rédacteurs du programme économique d’Emmanuel Macron. Elle est aussi signée par Xavier Ragot, le président de l’OFCE, et par Eric Monnet, professeur à l’école d’économie de Paris. Ce ne sont pas trois hurluberlus sortis de nulle part.

Ils expliquent que la banque centrale européenne, s’est fixé pour objectif depuis six ans de relever l’inflation à 2%. Mais qu’elle n’y est pas parvenue. Et donc que pour sortir de la crise aujourd’hui, reste cette solution: que la BCE distribue directement de l’argent aux citoyens européens.

Combien d’argent ? C’est la question qui nous intéresse tous !

Et bien les trois économistes envisagent deux scénarios. Pour augmenter l’inflation de 0,5% il faudrait distribuer 1% du PIB européen, soit 120 milliards d’euros, soit un chèque de 385 euros pour chaque individu. C’est un scénario modeste.

La deuxième option c’est de doubler tous ces chiffres. Dépenser 240 milliards pour que chacun d’entre nous reçoive 770 euros. Et la moitié pour chaque enfant à charge. Soit 2.310 euros pour un couple avec deux enfants.

Pour que cela marche, il faut que l’argent soit dépensé. La note du conseil d’analyse économique suggère donc que l'argent nous soit versé sous forme d’une carte de crédit avec une durée de validité limitée. De sorte que cet argent ne pourra pas être épargné, il faudra consommer.

Le gouverneur de la banque de France a déjà rejeté la proposition

François Villeroy de Galhau considère que ce n’est pas une bonne idée. Que sa mise en œuvre serait complexe et que cela risque de creuser un trou dans le bilan de la banque centrale européenne. Mais c’est maintenant au niveau européen que cela va se jouer. Le parlement européen qui exerce un contrôle sur la BCE pourrait relancer le débat.

La théorie de la monnaie hélicoptère pourrait finalement être moins absurde que ce qu’avait imaginé son concepteur.

Nicolas Poincaré (avec J.A.)