RMC

"Une indignation à géométrie variable": boycotter la Coupe du monde au Qatar, une fausse bonne idée?

A l’approche de la Coupe du monde au Qatar, certaines villes françaises (Lille, Bordeaux…) ont décidé de boycotter l’évènement à leur manière en n’installant pas d’écran géant. Pour Nabil Ennasri, docteur en sciences politiques, c’est incohérent. A l’inverse, Raphaëlle Rémy-Leuleu, conseillère écologiste à la mairie de Paris, salue ces initiatives.

Pas d’écran géant dans plusieurs grandes villes, comme Lille et Bordeaux, en signe de boycott de la Coupe du monde au Qatar (20 novembre-18 décembre). Une mesure utile et efficace pour protester contre le riche émirat et le non-respect des droits humains? Pour Nabil Ennasri, docteur en sciences politiques, ces décisions manquent de cohérence avec la politique internationale française. "C’est typique de la fausse bonne idée, assure-t-il dans ‘Apolline Matin’ ce lundi sur RMC et RMC Story. Soit le Qatar est fréquentable et on lui vend des armes, on le courtise pour son gaz... Mais on ne peut pas faire en sorte que le Qatar soit un allié stratégique de la France pour ensuite, pendant quatre semaines, le bouder et l’ostraciser. Il faut avoir un minimum de cohérence politique. Soit on boycotte à tous les niveaux, soit on participe, on lui vend des armes, et on est cohérent."

"Martine Aubry (maire de Lille, ndlr), qui semble se réveiller aujourd’hui, appartenait quand même à une organisation politique avec François Hollande qui a été le premier à vendre des armes au Qatar, ajoute l’auteur de ‘L'empire du Qatar, le nouveau maître du jeu’ (Robert Laffont). On ne fait pas porter la responsabilité des malheurs de ce monde et de la politique-spectacle sur les sportifs. Pour eux, ça participe de l’accomplissement de leur sport."

"La diplomatie se fait aussi à notre échelle"

"On fait la cohérence là où on peut, estime pour sa part Raphaëlle Rémy-Leuleu, conseillère écologiste à la mairie de Paris. Ce n’est pas nous qui décidons de vendre des armes au Qatar. Et du point de vue des écologistes, cette histoire serait réglée depuis bien longtemps. Par contre, le Qatar a une stratégie diplomatique qui se base aussi sur une diplomatie culturelle, sportive. On est nombreux à aimer le foot, à être frustré de se dire qu’on ne va pas pouvoir supporter l’équipe masculine de France lors d’une Coupe du monde, mais à comprendre qu’on ne peut pas s’assoir sur nos valeurs. On va trouver d’autres manières de partager tout ça."

Mais est-ce suffisant de ne pas installer d’écran géant ? "Aller plus loin, dans l’idéal, ça serait l’annulation de cette Coupe du monde, soutient l’élue écologiste. Mais on fait ce qu’on peut, de là où on est. Je suis très fière de voir que des élus dans les collectivités, de toutes sensibilités, ont porté des délibérations visant à dénoncer ce qu’il va se passer au Qatar, ce qu’il s’est déjà passé en termes de travaux, de violations des droits humains. La diplomatie se fait aussi à notre échelle."

Nabil Ennasri, lui, dénonce "un boycott un peu sélectif et indécent, voire hypocrite". "Cette dynamique de la contestation est née en Norvège, en mars 2021, rappelle-t-il. En 2022, la Norvège a participé aux JO de Pékin. Pourquoi ? Parce qu’elle savait qu’elle allait glaner des médailles dans des compétitions de sports nordiques où elle excellait. On va participer à un certain nombre de compétitions et se réveiller sur les droits de l’homme en fin d’année. C’est une indignation à géométrie variable, parfois indécente, voire hypocrite. On ne peut pas jouer les bons samaritains au Qatar quand on s’est tu aux JO de Pékin. Au Qatar, la Norvège savait qu’elle ne pouvait pas participer parce que son équipe était trop faible. Quand on sort de la France et de l’Europe, ce double standard n’est pas supportable."

LP