Enlèvement d’Olivier Dubois: l’armée française surveillait le journaliste, via son interprète

Peut-on parler d’un ratage dans l’affaire de l'enlèvement du journaliste Olivier Dubois? On apprend que lorsqu’il a été pris en otage au Mali, en avril 2021 à Gao, il était surveillé par l'armée française. Juste après son enlèvement, logiquement, le parquet antiterroriste a ouvert une enquête et a commencé à interroger tous ceux qui pouvaient avoir des renseignements et principalement les militaires français présents à Gao. Et ces interrogatoires ont révélé des surprises.
Depuis un an et demi, quatre médias français enquêtent sur cette enquête, mais sans jamais rien publier pour ne pas mettre Olivier Dubois en danger. Maintenant qu’il est libre, depuis le 20 mars dernier, Libération, Le Monde, RFI et TV5 Monde peuvent enfin révéler cette affaire qui ressemble à un roman policier.
Olivier Dubois était surveillé de près, par l'intermédiaire de son interprète. Un jeune Touareg de 25 ans, prénommé Kader, qui vivait à Gao. C’est à lui que le journaliste français a demandé d'organiser une interview avec un chef djihadiste d'Al-Qaïda, ce que l'interprète à fait avec succès. L’émir a donné son accord pour une rencontre à Gao avec Olivier Dubois. Les djihadistes ont même offert de payer son billet d’avion et son hôtel, ce qu’ils ont effectivement fait.
Mais ce que le journaliste ne savait pas, c'est que son interprète travaillait aussi pour l'armée française. Il était en contact avec les officiers de renseignement de l'opération Barkhane. Il était rémunéré et il avait justement été recruté pour tenter d’avoir des informations sur ce chef djihadiste. Peu avant l’interview, Kader a donc donné tous les détails aux officiers français, la date et le lieu.
Les Français lui ont dit qu’ils envisageaient de suivre le journaliste et de monter une opération pour arrêter le chef terroriste qu’il devait interviewer. Mais rien ne s’est passé comme prévu. Finalement, le 8 avril 2021, Olivier Dubois arrive à Bamako. Il est accueilli par son interprète Kader qui lui fournit des vêtements locaux. Les deux hommes prennent une chambre d'hôtel, partagent un repas puis se rendent au lieu de rendez- vous. Kader a, dans son téléphone, une application qui permet aux militaires de le géolocaliser. Il leur a aussi transmis des photos des vêtements que porte le journaliste.
Les soldats français l’ont tout simplement perdu
Comme prévu, Kader n’est pas autorisé à suivre le journaliste pour rencontrer le chef djihadiste. Mais ses contacts dans l'armée française le rassurent et lui laissent entendre qu’ils ont les moyens de surveiller ce qu’il se passe. Par exemple, avec des drones. En réalité, on comprendra plus tard que le journaliste était suivi de près depuis des semaines mais qu’au moment où il est volontairement monté dans le pick-up de ses ravisseurs, les soldats français l’ont tout simplement perdu…
Contrairement à ce qu’ils ont dit à l'interprète, ils n’avaient aucun moyen de suivre le journaliste. Ni drone, ni satellite, ni puce pour le localiser. Et les militaires français n’ont pas prévenu le journaliste des risques qu’il prenait. C’est ce que révèle l'enquête judiciaire qui est en cours. Les militaires ont eu plusieurs réunions consacrées à cette interview dont ils avaient connaissance. Ils ont évoqué une possible intervention de leur part pour arrêter le djihadiste. Mais ils y ont renoncé pour ne pas faire prendre trop de risques au journaliste.
La veille de l'enlèvement, ils ont encore eu une réunion où il est apparu que les risques de kidnapping étaient très élevés. Mais aucun militaire n’a pris l’initiative d’alerter Olivier Dubois. “Parce qu’on n’a pas reçu l’ordre de le faire”, a expliqué un officier.
Ce qu’il faut dire, c’est qu’Olivier Dubois savait les risques qu’il prenait. Il avait même désobéi à la direction de “Libération” qui lui avait demandé de renoncer à cette interview. La question n’est donc pas de rendre les militaires français responsables de son enlèvement. Mais c’est troublant d’apprendre que l’armée française a espionné un journaliste français, a payé son traducteur, a envisagé de monter une opération pendant son interview. Et que finalement, au moment crucial, les militaires l’ont laissé tomber dans le piège sans réagir.