"Expliquez-nous": pourquoi le gouvernement veut-il vendre la Française des Jeux?

C’était dans le programme d’Emmanuel Macron qui voulait déjà privatiser la FDJ lorsqu’il était ministre des Finances. Mais son Premier ministre Manuel Valls s’y était opposé.
Les députés ont voté au printemps une loi prévoyant trois privatisations : Engie, l’ancien Gaz de France, Aéroport de Paris, qui fait débat, et qui pourrait faire l’objet d’un référendum, et la Française des jeux, dont on parle moins. Avec ces trois ventes, l'état créerait un fond de dix milliards d’euros. Et les intérêts de ce fond serviraient à financer l'innovation des entreprises.
Pour Bruno Lemaire, ministre des Finances, ce n’est pas le rôle de l’Etat de s’occuper des jeux de grattage et de tirage. L’Etat, dit-il, doit juste en garantir le contrôle, ce qui sera fait à travers une autorité de régulation des jeux qui vient d'être créé. Pourtant, l’état en a longtemps eu le monopole.
En effet, les jeux d’argent ont longtemps été considérés comme quelque chose de mal.
Toutes les religions condamnent cet enrichissement facile. C’est “l’œuvre du diable” pour les catholiques comme pour les musulmans. Le protestant Calvin voulait même faire interdire les jeux de cartes. Et donc dans les années 30, lorsque des loteries étrangères ont commencé à s’implanter en France, l’Etat a préféré toutes les interdire et s’octroyer le monopole en créant la Loterie nationale. Comme il a longtemps eu le monopole de l’organisation des courses hippiques, autre loisir populaire, mais immoral. Les billets des premières loteries étaient très chers, mais les associations d’anciens combattants ont obtenu le droit de les acheter pour les revendre au dixième.
13% du capital aux associations d'anciens combattants
Pour faire taire les ligues de vertu, on a donc inventé en 1933, ce système qui permettait aux “gueules cassées” de sortir de la misère. Ces soldats de 14-18, défigurés par des blessures au visage, aveugles, amputés et trépanés, avaient aussi le droit à une petite part du gâteau.
Jusqu’à dans les années 1970, on voyait partout en France à la sortie des gares ou des bouches de métro, des culs de jatte, des manchots, ou des aveugles, rescapés de la grande guerre qui vendaient les dixièmes de billet de loterie. Aujourd’hui encore les associations d’anciens combattants possède 13% du capital de la FDJ.
Cette histoire des gueules cassées, est justement racontée dans une pub pour la “Française des jeux" qui passe actuellement à la télévision. Elle met en scènes justement des anciens soldats défigurés dans les années 30, et un couple d’aujourd’hui.
Qui va racheter la FDJ?
Une pub pour rappeler que la Française des jeux finance les handicapés, le patrimoine à travers le loto du patrimoine de Stéphane Bern, le sport français avec de l’argent prélevé sur les paris sportifs et le commerce de proximité, à travers le réseau de 30.000 vendeurs de billet de loto. Une pub qui curieusement insiste sur les missions de service public de cette entreprise, précisément au moment où elle va être cédée et donc cesser d'être un service public.
Alors qui va racheter la FDJ? Ça peut être le grand public, les fonds de pension, les grands opérateurs de jeux allemands ou anglais. Mais l’état qui a aujourd’hui 72% va en conserver 20%, et avec les salariés et les anciens combattants, il devrait garder une minorité de contrôle. Cela n’empêche pas les adversaires de cette privatisation de dire que l’on vend à la fois un très beau bijou de famille et une poule aux œufs d’or.
169 millions, le plus gros gain
Pour les joueurs en revanche, rien ne va changer. Ils sont 25 millions à tenter leur chance plus ou moins régulièrement. Ils jouent plus de 15 milliards par an. Les deux tiers sont redistribués aux gagnants.
Le premier gagnant en 1933 s’appelait Paul Bonhoure. Il a gagné l'équivalent de 3 millions d’euros d’aujourd’hui. Il était coiffeur à Tarascon. Il a cédé son salon à son employé et s’est retiré dans une belle propriété à Beaucaire. Seulement les journaux avaient donné son adresse et toute sa vie, il a été importuné par des quémandeurs ou des escrocs. La Loterie nationale a ensuite appris à protéger ses grands gagnants.
Le plus gros gagnant lui a touché 169 millions d’euros, à l’Euromillion le 13 novembre 2012. Mais la Française des jeux a très peu communiqué sur cette histoire pour deux raisons.
La première, c’est que cet homme, Gérard Lhéritier, était déjà millionnaire. Il avait fait fortune dans le commerce des timbres et des manuscrits rares. La seconde, c’est que deux ans après son gain record, il a été mis en examen pour "escroquerie en bande organisée". Placé en liquidation, il est aujourd’hui ruiné.