"Ça nous bouffe la vie": avant l'ouverture du procès de l'affaire Péchier, victimes et proches racontent

C’est un dossier titanesque comme la justice en connaît peu. Le genre d'affaires où les acteurs principaux se regardent en se disant que tout ça était impensable. Et pourtant, 30 empoisonnements en plein bloc opératoire, dont 12 qui seront mortels, pendant une dizaine d’années et sans que rien ou presque éveille les soupçons. La mort donnée rapidement, par une main experte, dans un lieu où d’habitude, il s’agit de sauver des vies.
Il aura fallu huit ans pour parvenir à un procès, au terme d’une enquête hors norme qui désigne un seul homme: Frédéric Péchier, médecin anesthésiste réanimateur, soupçonné d’être la main criminelle qui a empoisonné 30 personnes dans deux cliniques différentes. Lui, a toujours nié les faits.
"On m'a arraché mon père"
Tout commence en 2008 à Besançon, en Franche-Comté, où Frédéric Péchier est un médecin anesthésiste de 35 ans, reconnu par ses confrères comme étant l’un des meilleurs de la Clinique Saint-Vincent où il exerce. C’est lui qui est régulièrement appelé en renfort lorsqu’il faut entamer une réanimation délicate.
Le 9 octobre 2008, il est d’ailleurs sollicité lorsque Damien Iehlen, 53 ans, fait un arrêt cardiaque sur la table d’opération dans les secondes qui suivent l’anesthésie. Ce jour-là, malgré les efforts de l’équipe médicale, le cœur du quinquagénaire ne repartira pas. Sa fille Amandine n’a rien oublié de ce jour dramatique.
“Aujourd’hui, j’ai 41 ans, et j’en avais 23 quand on m’a arraché mon père. Mon papa est rentré à la clinique la veille au soir. Vers 8h, mon téléphone a sonné et l’anesthésiste m’a annoncé qu’il y avait eu un problème et qu’il avait fait un arrêt cardiaque”, raconte Amandine Iehlen à RMC.
“Je me suis effondrée, je m’en souviendrais toujours. Puis, après, je me suis demandée ce qu’il s’était passé. Il était en pleine forme, il avait déjà subi une opération similaire et ça s’était bien passé. Quand il est parti se faire opérer, pour nous, c’était banal et on ne pensait pas qu’on n'allait plus jamais le revoir”.
Une enquête est ouverte, mais elle piétine. Et dans le même temps, les arrêts cardiaques, appelés “Évènements Indésirables Graves” par les professionnels de santé, se multiplient dans la clinique, mais rien ne semble éveiller les soupçons. “Après le décès de mon papa, on a été reçues, ma soeur, ma mère et moi, par la clinique Saint-Vincent. On nous a dit que mon père était décédé comme ça peut arriver à un joueur de football sur le terrain qui fait une crise cardiaque. On est ressorties de Saint-Vincent avec cette explication-là”, poursuit Amandine Iehlen.
Soulagement et colère
En parallèle - et c’est ce que révèlera l’enquête - les relations entre Frédéric Péchier et ses collègues se tendent. Au point que l’anesthésiste quitte la clinique Saint-Vincent pour exercer à la polyclinique de Franche-Comté, un établissement voisin.
Mais là-bas non plus, Frédéric Péchier ne s’entend pas avec ses nouveaux collègues. Au cœur des conflits, souvent, il y a un problème d’argent, mais d’égo aussi. Et à son tour, la Polyclinique de Franche-Comté connait trois “Évènements Indésirables Graves”, trois arrêts cardiaques au moment de l’anesthésie, que les soignants ne parviennent pas à expliquer. D’autant que ça n’était jamais arrivé dans un temps si réduit avant l’arrivée du Docteur Péchier.
Entre temps, entre les médecins et l’anesthésiste, le torchon continue de brûler. Au point que Frédéric Péchier fait demi-tour et retourne à la clinique Saint-Vincent six mois après son départ. L’établissement qui avait connu une courte accalmie fait de nouveau face à des arrêts cardiaques suspects au sein du bloc opératoires. En 2017, un nouvel arrêt cardiaque suspect survient: cette fois, il est signalé à la justice et une information judiciaire est ouverte.
“Le 6 mars 2017, je reçois un appel du commissariat de Besançon qui me dit qu’ils ont mis en examen le docteur Péchier, qui pouvait potentiellement être à l’origine du décès de mon papa. Et que malheureusement mon papa n’est pas la seule victime. Le policier pensait m’anéantir avec cette nouvelle alors que je l’ai remercié. C’était un soulagement d’avoir une explication au décès soudain de mon père. Puis j’ai eu de la colère quand j’ai su le nombre de victimes et que l’enquête n’avançait pas”, dit Amandine Iehlen.
Le cas Jean-Claude Gandon: "Ça nous bouffe la vie, je ne peux pas oublier”
Etienne Manteaux, procureur de la république de Besançon à ce moment-là, prend alors la parole pour faire le point sur l’enquête. Frédéric Péchier est accusé d’avoir tenté d’empoisonner l’un de ses patients pour se fournir un alibi. Un stratagème qu’il aurait imaginé pour détourner l’attention. La victime s’appelle Jean-Claude Gandon, 70 ans au moment des faits. Il est le dernier patient à avoir été empoisonné selon les enquêteurs.
Contrairement aux autres victimes, Jean-Claude Gandon est donc le seul patient pris en charge par le Docteur Péchier. Mais ce jour-là dans la clinique, l’ambiance est différente: un nouvel arrêt cardiaque. Neuf jours avant, l’opération de Jean-Claude Gandon a définitivement éveillé les soupçons. Alors, des policiers en civils arpentent les couloirs pour saisir des preuves. Au moment où les enquêteurs perquisitionnent, le cœur de Jean-Claude Gandon s’arrête et Frédéric Péchier répète à qui veut l’entendre qu’il est, lui aussi, victime d’un acte de malveillance.
“On se met tout de suite des idées en tête. Le soir, je regardais la télévision jusqu’à très tard dans la nuit, de peur de pas me réveiller le lendemain. On a peur”, raconte Jean-Claude Gandon à RMC.
“Il n’a jamais été malade, il n'y a pas d’antécédent cardiaque. Et un jour, les policiers nous ont annoncé qu’il avait été empoisonné”, poursuit sa femme.
Annie Gandon se souviendra toujours de sa première rencontre avec Frédéric Péchier. A ce moment-là son mari lutte encore pour survivre. Et les mots prononcés ce jour-là par l’anesthésiste raisonnent encore dans sa tête aujourd’hui. “Il me disait de pas me faire de souci. Mais s’il a fait ce qu’on lui reproche, ça veut dire qu’il se foutait de ma gueule. Je vis avec ça depuis huit ans. Ça nous bouffe la vie, je ne peux pas oublier”.

Frédéric Péchier, "un homme à bout et épuisé"
Depuis le tout début de cette affaire, il y a huit ans, Frédéric Péchier nie les faits. Son avocat Maitre Randall Schwerdorfer parle même d’un complot.
“Je ne vous cache pas qu’il y a une usure, du temps, psychologiquement, physiquement, financièrement… C’est un homme à bout et épuisé qui va arriver à la cour d’assise. Il reste combatif, mais quand la justice passe, la justice détruit tout. Il n’a plus de travail, il est au RSA, il n’a plus de vie sociable, il a divorcé, il vit loin de ses enfants, il a tout perdu”, explique-t-il.
“Il a perdu sa notoriété, car les gens font l’amalgame et le prennent pour un meurtrier, il y a eu une tentative de suicide. C'est quelqu’un qui a énormément souffert de cette procédure, il a toujours dit qu’il était innocent. Donc, on ne lâchera rien”, dit-il à RMC.
Au moment où le procès va s’ouvrir, une chose principale compte pour les victimes et leurs proches: obtenir des réponses à leurs questions. “Pour m’en sortir définitivement, j’ai besoin de comprendre et qu’il s'explique”, souffle Jean-Claude Gandon. “Moi, je veux entendre sa voix, qu’il prouve son innocence s’il n'a rien fait. Il doit répondre de ses actes”, conclut Amandine Iehlen.
Pour les faits qui lui sont reprochés, 30 empoissonnements dont 12 mortels, Frédéric Péchier encourt la réclusion criminelle à perpétuité. Jusqu’au verdict, il reste présumé innocent. Son procès doit durer trois mois et demi face à la Cour d’assises du Doubs.