Meurtre de Mélanie: le suspect de 14 ans n'a pas réussi à "gérer la frustration", selon une experte

Les cours reprennent ce jeudi matin au collège Françoise-Dolto de Nogent en Haute-Marne, deux jours après la mort de Mélanie, une surveillante de 31 ans, poignardée par un élève. La journée doit débuter par un temps d'échange entre les élèves et l'équipe éducative. Une cellule psychologique reste en place et des agents des équipes mobiles de sécurité de l'Education nationale seront présents.
La garde à vue de l'élève de 14 ans qui a mortellement poignardé cette surveillante est toujours en cours ce jeudi matin. La justice s'oriente vers une mise en examen du suspect. Deux jours après le meurtre, on en sait un peu plus sur son profil et le contexte de son passage à l'acte.
Le procureur de Chaumont, Denis Devallois, décrit ce collégien comme sociable, plutôt bon élève, issu d'une famille unie, sans antécédents judiciaires. Selon lui, l'auteur ne présente "aucun signe évoquant un possible trouble mental", même s'il manifeste une absence d'attachement à la vie humaine. Il faudra cependant attendre une expertise psychiatrique pour préciser le bilan psychologique de cet adolescent.
Haine contre les surveillantes
Il avait déjà fait l'objet de deux sanctions disciplinaires en novembre et décembre 2024, "une pour avoir porté des coups de poing à un camarade de classe, une autre pour avoir frappé un élève de 6e".
Face aux enquêteurs, le collégien a reconnu "être l’auteur" des coups de couteau, mais "n'explique pas véritablement" son passage à l'acte selon le procureur de Chaumont. Face aux gendarmes, le suspect peine à expliquer son geste. S’il n’avait aucune animosité à l’encontre de la victime, il explique ressentir de la haine contre les surveillantes, qui selon lui, adoptaient un comportement différent en fonction des élèves. Il déclare avoir ressassé le projet de tuer une surveillante et selon ses propres termes: "n'importe laquelle", précise Denis Devallois.
Une haine décuplée, vendredi dernier, 4 jours avant le drame, lorsqu’il est justement sermonnée par l’une d’elle pour avoir embrassé sa petite amie dans la cour du collège. Hélène Romano est docteure en psychopathologie, elle a expertisé des mineurs ayant commis des meurtres. "Il n'a pas réussi à gérer la frustration par rapport à la remarque qui lui a été faite. Normalement, on doit être en capacité de gérer ça. Quand on ne peut pas, quand ça court-circuite, le passage à l'acte, et d'autant plus le passage à l'acte violent, il arrive".
"Le passage à l'acte intervient quand il y a une forme de court-circuitage de pensée", analyse-t-elle.
Pour le psychanalyste Pascal Neveu: "ça peut être une pulsion mais il aurait évoqué, dès le samedi, qu'il allait se venger. Il y a quelque chose qui est de l'ordre du tourment de l'adolescent, dans ses pulsions, dans les interdits, la répression de leur pulsion".
Une obsession des femmes?
Mais ce n'est pas tout, un autre aspect pourrait expliquer son passage à l'acte. Aujourd'hui, il explique qu'on "observe de plus en plus de frustration des jeunes garçons, peut-être dans une difficulté par rapport à leur masculinité, virilité".
Et cela aurait pourrait être renforcé sur le fait qu'il n'y aurait que des femmes surveillantes. "Il n'y a pas d'hommes surveillants dans cet établissement".
"Alors est-ce que cette répression, cette réprimande le vendredi, l'a renforcé dans une conviction que les femmes ne sont pas des personnes bienveillantes et qui les empêche de vivre leurs pulsions et leur désir affectif?", questionne-t-il.
Tous ces jeunes qui utilisent des couteaux sont, en tout cas, des garçons. Dans "98% des cas, ce sont des garçons qui passent à l'acte". En 10 ans, on a multiplié par 3 le nombre de passages à l'acte chez les jeunes.
"Attitude détachée"
Dès le samedi, il dit ressasser son geste, affirme avoir eu la volonté de tuer en prenant le couteau de cuisine le plus gros pour faire le plus de dégâts. Des propos qui font écho à une véritable fascination pour la mort et la violence, certainement alimentée par une passion des séries et des jeux vidéos, selon le procureur.
"Il fait part d'une certaine fascination pour la violence et la mort ainsi que pour les personnages les plus sombres des films ou séries télévisées", détaille le procureur.
Pour l'experte en psychopathologie: "On a des jeunes qui vont être fascinés par des images, souvent parce qu'ils n'ont pas d'autres repères pour leur permettre de gérer le rapport à l'autre. Donc ils vont être dans l'action. La violence qu'ils peuvent ressentir dans les écrans, ils vont s'en libérer de façon extrêmement violente". C'est pour cette raison qu'elle préconise d'apprendre à nommer et gérer les émotions dès le plus jeune âge.
A ce stade, "il présente une attitude détachée face aux faits et à leurs conséquences", précise le magistrat à propos de cet adolescent décrit comme insensible au point de ne prononcer ni regret, ni compassion pour les victimes. Avant de conclure: "d'une manière générale, ce jeune homme apparaît en perte de repères quant à la valeur de la vie humaine, à laquelle il ne semble pas attacher une importance particulière".
Personnalité clivée
Pour le psychanalyste Pascal Neveu, "on est vraisemblablement face à une personnalité qui est clivée par rapport à son comportement. C'est-à-dire qu'il se détache totalement de son passage à l'acte et de ses propres émotions. C'est ce qu'on appelle de l'alexithymie, c'est quelqu'un qui ne va pas exprimer d'émotion, peut-être qu'il ne les ressent absolument pas".
"Généralement on est face à des personnalités qui ont vécu des traumatismes durant leur enfance", analyse-t-il.
"On est dans une garde à vue aussi, c'est peut-être quelque chose d'éprouvant, ça n'excuse rien de sa part. Mais le fait qu'il ne présente aucune excuse l'enfonce un petit peu plus dans sa préméditation du passage à l'acte", détaille Pascal Neveu. A ce sujet, la docteure préfère être prudente. Il est possible qu'il soit encore en état de choc du meurtre et le réalise plus tard, dit-elle.
Une minute de silence en mémoire de Mélanie, la surveillante de 31 ans tuée, doit être observée à midi dans tous les établissements scolaires du pays, à la demande de la ministre de l'Education nationale Elisabeth Borne. A l'appel de la famille de la victime, une marche blanche est prévue vendredi à 18h au départ du collège.