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"On n'a pas envie de se montrer": les enlèvements liés aux cryptomonnaies inquiètent les investisseurs

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Kidnappé jeudi en plein Paris, un homme a été retrouvé en vie ce week-end, mutilé par ses ravisseurs. Ils réclamaient à son fils, un entrepreneur fortuné, spécialiste en cryptomonnaie, plusieurs millions d'euros de rançon. C'est la 2e affaire de ce genre depuis le début de l'année en France.

Deux nouvelles interpellations dimanche dans l'enquête sur l'enlèvement d'un homme dont le fils a fait fortune dans les cryptomonnaies. En tout, 7 personnes sont en garde à vue dans ce dossier. La victime a été enlevée jeudi matin à Paris par des hommes cagoulés.

Les ravisseurs qui demandaient plusieurs millions d'euros de rançon, lui ont notamment coupé un doigt pour faire pression sur son fils. Une enquête a été ouverte notamment pour enlèvement, séquestration et détention arbitraire avec torture ou acte de barbarie en bande organisée.

3 questions pour comprendre : Enlèvements liés aux cryptomonnaies, que se passe-t-il ? - 05/05
3 questions pour comprendre : Enlèvements liés aux cryptomonnaies, que se passe-t-il ? - 05/05
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Les deux dernières personnes à avoir été placées en garde à vue sont nées en 1995 et en 2007. Des profils particulièrement jeunes tout comme les cinq autres suspects âgés d’une vingtaine d’années seulement. Ils sont tous soupçonnés donc d’avoir participé au kidnapping d’un homme jeudi dernier. La victime, le père d’un investisseur dans la cryptomonnaie, est approché chez lui, par deux faux livreurs puis emmené de force dans un logement de l’Essonne.

Pour faire pression sur son fils, installé à Malte, et obtenir le versement de plusieurs millions d’euros, les ravisseurs envoient une vidéo de la victime, arme automatique sur la tempe puis lui coupent un doigt. C’est finalement l’intervention de la BRI notamment qui met fin à ce calvaire et permet l’interpellation de cinq suspects. Selon les proches de la victime, le père et le fils avaient déjà fait l’objet de menaces auparavant.

Inquiétude chez les investisseurs

Cet événement arrive seulement trois mois et demi après l'enlèvement spectaculaire de David Balland, le cofondateur de Ledger, une entreprise française spécialisée dans les crypto-monnaies. Alors dans le milieu, l'inquiétude monte.

Cet investisseur en cryptomonnaies qui dit avoir "tout arrêté" pour protéger sa famille. Même son de cloche chez cet investisseur qui souhaite rester anonyme. “On n'a pas envie de se montrer en disant ‘j'ai de la crypto’, parce que, mécaniquement, ça nous met une cible sur la tête”, assure-t-il. Il raconte regarder régulièrement derrière lui, pour éviter d'être suivi.

“Une des dernières choses qui me protégeaient mentalement, c'était de me dire ‘au moins ils ne font pas ça à Paris dans la rue’... et maintenant, ils le font”, souffle-t-il.

Il assure préparer son déménagement et dénonce les fantasmes autour des cryptomonnaies: "tous les propriétaires seraient riches. “Les malfaiteurs sont persuadés que c'est anonyme, qu'ils vont pouvoir prendre quelqu'un, l'enlever et garder l'argent alors que c'est tout l'inverse. Mais ça n'enlève pas le préjudice aux gens qui sont enlevés”, déplore-t-il.

Des transactions très tracées

Sauf que les paiements sont souvent plus simples, concède-t-il. “On a un portefeuille à soi sur lequel on fait soi-même la transaction. Donc peut mettre sous pression quelqu'un, il n'y a pas besoin d'appeler le conseiller bancaire pour dire "faites telle opération", la personne fait l'opération et c'est terminé”, appuie-t-il.

Mais la plupart des opérations sont tracées, souligne Grégory Raymond, journaliste spécialisé.

“Demander une rançon en crypto, c'est une très mauvaise idée, car en fait n'importe qui peut tracer les flux sur la blockchain. Vous savez, la blockchain, c'est le registre qui compile l'historique de toutes les transactions cryptos, et il est public. C'est comme si vous aviez une balise GPS sur tous vos flux”, explique-t-il.

Le secteur serait aussi visé pour sa jeunesse. Beaucoup d'influenceurs ont moins de 30 ans, relève le journaliste. “Beaucoup de personnes ont une fortune récente et n'ont pas conscience de tous les risques”, abonde le directeur d'une entreprise de sécurité. Il n’y a pas encore de garde du corps derrière chaque investisseur en cryptomonnaies, mais ils vont vers plus de discrétion.

Certains acteurs dénoncent les lois en matière de cryptomonnaies, qui limitent les possibilités d'anonymat pour empêcher le trafic. En pratique, elles rendent aussi plus vulnérables les propriétaires. Alexandre Stachtchenko est directeur stratégie de Paymium et président de l'Inbi, l’Institut national du bitcoin. Il fustige la vision négative des cryptomonnaies comme "monnaie des terroristes ou des marchands d'armes".

"La seule façon de se protéger, c'est d'améliorer l'accès aux outils de confidentialité pour tout un chacun. L'Europe et la France sont en ce moment dans une croisade contre ces outils, sous des prétextes fallacieux. La puissance publique participe, via la réglementation, à organiser une collecte de données personnelles qui met en danger les citoyens. Il est encore temps d'arrêter cette dérive”, appuie-t-il.

D'autres modes opératoires visent les détenteurs de cryptomonnaies, comme les tentatives de hacking ou d'usurpation d'identité.

Pierre Bazin et Marion Gauthier avec Guillaume Descours