Narcotrafic à Canteleu: un an de prison avec sursis requis contre l'ex-maire pour complicité

Jugée pour complicité de trafic de drogues, l'ex-maire de Canteleu se dit "détruite" - Marion Dubreuil
Au nom d'une République "exemplaire" face à la pieuvre du narcotrafic, le parquet de Bobigny a requis lundi 24 juin un an de prison avec sursis à l'encontre de Mélanie Boulanger, ex-maire de la petite ville de Canteleu (Seine-Maritime), pour complicité de trafic de stupéfiants.
L'élue socialiste de 47 ans, qui a démissionné en février du mandat qu'elle détenait depuis 2014, dément tout acte qui aurait favorisé les affaires du clan Meziani, propriétaire présumé du trafic de drogue de la ville normande. Cinq années d'inéligibilité et 10.000 euros d'amende ont aussi été demandés contre elle.
18 mois de prison avec sursis à l'encontre de son adjoint
"Les mairies, en tant que premier échelon local de l'État, sont le premier rempart à l'infiltration des narcotrafiquants dans les institutions de la République", a asséné la procureure Alice Dubernet, en estimant que celles-ci doivent se montrer "exemplaires" dans la lutte contre la drogue.
Or pour le parquet, la transmission aux trafiquants de certaines informations sensibles par la maire sous pression, ainsi que quelques-unes de ses interventions auprès de la police locale, signent un "pacte de non-agression" avec l'organisation criminelle.
"Quand les actes d'une édile vont permettre de favoriser l'impunité de trafiquants de stupéfiants, on tombe dans la complicité de trafic de stupéfiants", a asséné la procureure dans son réquisitoire de quatre heures.
Elle a également requis 18 mois de prison avec sursis à l'encontre de son adjoint et amant à l'époque des faits, Hasbi Colak, qui servait d'"émissaire" entre les chefs présumés du trafic et la maire.
Le tribunal de Bobigny juge, depuis fin mai, 18 prévenus en lien avec un trafic de cocaïne, héroïne et cannabis basé à Canteleu, commune pauvre de l'agglomération de Rouen. Cette organisation génèrerait un chiffre d'affaires annuel de plusieurs millions d'euros.
Pour l'accusation, le trafic de cette commune de 14.000 habitants est aux mains d'une redoutable famille de Canteleu, le clan Meziani, "dans laquelle le pouvoir se transmet de frère en frère" depuis des années, a estimé Mme Dubernet.
"Narco-ville"
Selon le parquet, la famille Meziani tire son "pouvoir" de son implantation dans son village d'origine du nord du Maroc qui lui offre un accès direct à la production de cannabis et lui permet d'avoir le "monopole" du deal dans la "narco-ville" de Canteleu.
À l'encontre du chef de famille Aziz Meziani, dit "le U", qui s'est enfui au Maroc durant l'enquête, le ministère public a requis 10 ans de prison et deux millions d'euros d'amende. Le cas de son frère Montacer a été disjoint pour raison de santé et celui-ci sera jugé à part en novembre.
Présente sur les bancs des prévenus, leur grande soeur Fouzia, 41 ans, a vu une peine de trois ans de prison, dont 16 mois avec sursis, demandée contre elle en tant qu'"administratrice de la famille".
Des peines allant de deux ans avec sursis à huit ans de prison ferme ont été requises à l'encontre des autres prévenus, dont les rôles présumés illustrent les multiples facettes d'un trafic de drogue brassant des flots d'argent: gérants, fournisseurs, financiers, propriétaires d'entreprises ou commerces blanchissant l'argent sale, transporteur, etc.
Au cours de quatre semaines d'une audience tumultueuse, hachée par les recours et les incidents, le tribunal correctionnel s'est heurté à un bloc de silence de la part des prévenus. Certains d'entre eux ne se sont pas présentés à l'audience ou ont refusé d'être extraits de leur cellule pour répondre aux questions.
La justice a donc dû en grande partie se rabattre sur la lecture des volumineuses écoutes issues des près de deux ans d'enquête, entre 2019 et 2021, qui documentent la mainmise du trafic de drogues à l'échelle d'une petite ville. Un phénomène en plein expansion en France, dont s'alarmait récemment un rapport sénatorial.
"Les Meziani, à Canteleu, c'est un nom qui clôt les yeux, bouche les lèvres véritablement", a fustigé la procureure en référence à la peur qu'inspire localement la famille. La décision sera mise en délibéré à l'issue des plaidoiries.