ONPC: "Le montage est cynique, ça ressemble à quelque chose de scénarisé"

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Eloïse Bouton, ancienne Femen, est militante féministe. Journaliste indépendante, elle est membre de l'Association des Journalistes LGBT (AJL). Elle a publié un texte sur Facebook au sujet de la séquence.
"On a Christine Angot et Sandrine Rousseau, deux femmes victimes de violences, sur un plateau de télévision. C'est un endroit plutôt très hostile; ce n'est pas un espace safe pour parler de ces choses-là. Le dispositif est agressif. Yann Moix commence par dire que ce qu'elle décrit n'est pas réaliste. Sous couvert de critiquer le contenu littéraire, on n'accueille pas la parole de cette victime de manière bienveillante. On ne parle pourtant pas que d'une oeuvre artistique, mais de la parole d'une femme victime de violences sexuelles. Dans un tel dispositif, il n'y a que du cumul de violence sur la violence subie. Et c'est souvent le cas quand on parle de violences sexuelles. Que ce soit dans l'accueil de la police, de la justice.
"Une injonction à rester dans le silence"
Christine Angot a toujours eu une position assez ambivalente par rapport à l'inceste dont elle a été victime. D'un point de vue littéraire, elle écrit extrêmement bien, et en même temps, comme elle le dit en plateau, "on se débrouille": c'est chacun sa merde.
On peut le comprendre comme une injonction à rester dans le silence, dans le tabou, au motif que ça ne servirait à rien d'en parler. Alors que la pierre fondatrice de la résilience, voire de la guérison de la violence - quelle qu'elle soit - c'est d'en parler. En plus, ça déresponsabilise les pouvoirs publics. Ils n'auraient pas à assumer la violence sexuelle de la société parce que ce serait une affaire privée. Or, la violence sexuelle, c'est un crime. Il y a des lois qui ne sont pas respectées.
"Abandonné à sa propre reconstruction, on a de la violence en soi"
Mon hypothèse, c'est que Christine Angot est quelqu'un qui a intériorisé la violence dont elle a été victime. Confrontée ainsi à ce qu'elle a subi, elle entre alors dans une forme de mini-déni, dans une attitude soit agressive, soit volontariste, par laquelle elle dit: 'Moi, je suis plus forte, je suis capable de dépasser toute seule ce traumatisme, et si moi je peux y arriver, tout le monde peut y arriver'. Mais il y a des victimes qui ne sont pas dans cette démarche-là, qui ont besoin de thérapie et des pouvoirs publics.
Quand on a été abandonnées à sa propre reconstruction, on peut avoir cette violence en soi, qui peut ressortir à n'importe quel moment de la vie. On la voit: Angot est très en colère. C'est une colère sincère, on voit que c'est de l'émotion pure. Ça touche à quelque chose de profond.
Malheureusement, beaucoup de victimes de violences sexuelles ne sont pas prises en charge. Elle se retrouvent à un moment donné à devenir un peu bourreau. Elles vont être dans la contradiction. Elles ne deviennent bien sûr pas des 'serial violeuses', mais dans des instants, il va y avoir une agressivité.
"Le buzz est roi"
Dans ONPC, il n'y a aucune limite à ça. Le buzz est roi. Ils oublient qu'il y a des personnes, des êtres humains en face, et qu'ils se comportent au détriment de leurs émotions. C'est le jeu de cirques, les arènes époques gladiateurs. Je l'ai trouvée sordide cette séquence. Je sais très bien dans quelle époque on est - celle d'Hanouna, qu'on a déjà épinglé - mais ça allait encore plus loin que ce qu'on pensait. Ils devraient tous être très vigilants, surtout sur des thématiques comme ça. Surtout dans les médias, où ce genre de sujet est très mal traité. On est avec des victimes. Pas des gens qui détournent de l'argent.
D'autant que le montage (une scène ou Christine Angot quitte le plateau en pleurs a été tronquée de l'émission) ne fait pas bien comprendre d'où sort cette colère. Il manque des éléments de lecture et ça ressemble a quelque chose de scénarisé, la colère face à la tristesse… C'est assez cynique de l'avoir monté comme ça."