Torture, drogue... Un juré jugé pour avoir fait fuiter le verdict sur Snapchat
Le 7 février 2019, la cour d'assises de Bobigny jugeait huit trafiquants de drogues, accusés d’avoir enlevé, séquestré et torturé un autre dealer sur fond d’accusation de vol. Ce jour-là, c’était la fin du procès. Le jury délibérait depuis onze heures lorsque les familles des accusés, présente dans le tribunal ont reçu un message Snapchat qui disait: “deux condamnations à 7 et 14 ans, et 6 acquittements”. Et un quart plus tard, la cour est revenue dans la salle d’audience pour annoncer le verdict. Deux condamnations à 7 et 14 ans pour les deux principaux accusés, et 6 acquittements pour les autres. Le message Snapchat avait donc dit vrai.
L’affaire a aussitôt été prise très au sérieux parce qu’un verdict de cour d’assise qui fuite, c’était du jamais-vu. Si les familles des accusés ont appris le verdict avant qu’il soit prononcé, c’est forcément qu’elles étaient en contact avec un juré. Et si ce juré connaissait des proches des accusés, alors il est possible qu’il ait été menacé ou acheté.
Reconnu par des proches d'accusés
La police judiciaire a convoqué tous les jurés et l’un d’entre eux, un des jurés suppléants, un électricien de 22 ans à l’époque, sans casier judiciaire, a admis qu’il était l’auteur du message Snapchat.
Au début du procès, il a été reconnu par des proches de deux des accusés qui habitaient la même cité que lui. Ils l'ont ensuite contacté un soir, l’ont emmené chez l’un deux et lui ont parlé plusieurs heures pour le convaincre de l'innocence de leurs deux amis. Et ces longues discussions se sont reproduites plusieurs soirs.
Le jeune électricien a expliqué aux policiers qu’il avait eu peur. D'autres jurés ont ensuite témoigné qu’il avait effectivement tout fait pour les convaincre de l'innocence de deux des accusés qui avaient effectivement été acquittés lors du procès de 2019. Depuis, ils ont été rejugés en appel par une autre cour d'assises et cette fois condamnés à 9 et 15 ans de prison.
Ce lundi, c’est le procès du juré et des deux hommes qui ont fait pression sur lui. L'enquête n’a pas démontré si ce juré sous influence, avait oui ou non touché de l’argent, mais l’instruction a montré qu’il avait clairement été intimidé et donc corrompu. Il risque un an de prison pour avoir brisé le secret des délibérations et ses deux corrupteurs beaucoup plus.
À l'époque, le président de la cour d’assises avait rapidement alerté sa hiérarchie. Il considérait que les six acquittements étaient totalement infondés. Plusieurs jurés, en cours de procès, avaient changé de comportement. L’un d’entre s’était énervé lorsqu’il lui avait demandé s’il subissait des pressions et ce n’était pas le juré suppléant qui sera jugé ce lundi.
Cette note du président laisse entendre qu’il n’y a peut-être pas eu qu’un seul juré qui a été intimidé. Le magistrat voulait alerter sur la difficulté de certains procès en Seine-Saint-Denis, lorsque l’on juge des trafiquants de drogue issus d’une cité ou tout le monde se connaît et où trop souvent on devine des pressions, des menaces sur les victimes, sur les témoins, et même dans ce cas-là, sur un ou plusieurs jurés.
C’est pour éviter ces pressions que l’on a créé les cours d’assises spéciales
En décembre 1986, lors du procès de membre du groupe terroriste d’action directe, un des accusés, Régis Schleicher, avait menacé les jurés ouvertement depuis son box. Il leur avait promis “les rigueurs de la justice prolétarienne. Et les menaces avaient porté leurs fruits. Le lendemain, 5 jurés ne s'étaient pas présentés à l’audience en fournissant des certificats médicaux. Le procès avait dû être reporté.
Depuis cette histoire, effectivement, des cours d’assises spéciales jugent des affaires de terrorisme et de trafic de drogue. Ce sont des cours d’assise ou les jurés sont remplacés par des magistrats professionnels. C’est le cas du procès d’Air cocaïne qui a lieu en ce moment à Aix-en-Provence, ou bien du procès à Paris des complices présumés du terroriste qui a tué le policier Xavier Jugelé.
Mais ce n’était pas le cas du procès de Bobigny en 2019, parce qu’il ne s’agissait pas de terrorisme ou de trafic de drogue, mais d’un règlement de comptes entre dealers.