Avec sa chaîne YouTube, Jean-Luc Mélenchon veut montrer qu'il n'est pas un politique comme les autres

- - FRED TANNEAU / AFP
Arnaud Mercier, professeur en communication politique à l'Institut Français de Presse à l'université Paris II et président du site The Conversation:
"Je pense que Jean-Luc Mélenchon sait s'entourer de gens qui sont des bons capteurs de tendances numériques, notamment chez ceux qui utilisent Internet comme un contre-espace public. C’est-à-dire qu'il y a une homologie entre la position politique de Jean-Luc Mélenchon et la manière dont il prétend utiliser un certain nombre d'outils. On sait très bien que, dans les mouvements plus contestataires, moins institutionnalisés, que ce soit à l'extrême droite ou à l'extrême gauche, les réseaux sociaux sont très importants. En effet, ce sont des outils de compensation d'un accès à l'espace public médiatique qui est plus limité pour eux que pour d'autres.
Jean-Luc Mélenchon, qui prétend être contre le système, dont le verbe est haut et fort, qui passe pas mal de temps à critiquer les médias parce qu'il y aurait, selon lui, une collusion entre les élites politiques, économiques et médiatiques, considère qu'il n'est pas en mesure d'accéder aussi librement qu'il le voudrait aux médias. Du coup, avec ses équipes, ils ont beaucoup développé sa présence sur internet (réseaux sociaux, blogs, YouTube…) dans une logique alternative. Il avait déjà fait ça en 2012 en créant des web-séries sur ses déplacements de campagne dans une ferme, dans une usine, etc. Des choses dont il était absolument certain qu'aucun média ne parlerait. Maintenant, il fait de même avec sa chaîne YouTube.
"Il a épousé les codes des youtubeurs"
Cependant, il n'utilise pas YouTube comme le font Marine Le Pen, Benoît Hamon ou autres, dans le sens où on fait des captures vidéos que l'on diffuse en direct pour que tout le monde puisse voir le meeting même s'il n'est pas sur place. Jean-Luc Mélenchon a une chaîne YouTube, au sens des youtubeurs. Il a épousé leurs codes, leur façon de s'exprimer devant la caméra, d'être un peu dans l'intimité, d'inviter des gens… Il ne singe pas mais essaie de prendre au sérieux les codes de cet univers numérique, de se les approprier pour faire sa propagande électorale, diffuser ses idées.
En agissant de la sorte, Jean-Luc Mélenchon prouve qu'il n'est pas dans le système, ce qu'il revendique depuis années. De ce point de vue-là, ce n'est que de la communication politique. Il montre qu'il n'est pas comme les autres, qu'il n'agit pas de la même manière que les autres politiques parce que lui a une chaîne YouTube. Après, que ça lui permette d'avoir une visibilité plus grande chez les jeunes, et donc que cela ait un impact électoral, je n'en doute pas. Même si les jeunes ne sont pas forcément son cœur de cible électoral. Je pense qu'il veut avant tout manifester aux yeux du monde qu'il n'est pas comme les autres.
"Vous ne pouvez jamais réduire un enjeu électoral à la simple stratégie de communication de tel ou tel acteur"
L'enjeu pour lui est de montrer qu'il est dans quelque chose de plus participatif, de plus accessible, de plus hors-système, de plus différent. Que cela ne serve qu'à des gens qui sont déjà, pour l'essentiel, convaincus par ce qu'il dit ou que cela serve à en attirer d'autres, ce n'est pas ça l'important. Je ne pense pas qu'il se dise qu'il va bouleverser le rapport de force électoral avec cette stratégie. Il est clair qu'il ne va pas attirer des dizaines de milliers d'électeurs qu'il n'aurait jamais eus sans ça. En effet, vous ne pouvez jamais réduire un enjeu électoral à la simple stratégie de communication de tel ou tel acteur.
Ce n'est pas parce qu'il maîtrisait très bien la télé que Kennedy a été élu président des Etats-Unis. Cela aide mais ce n'est pas que pour ça. Autres choses jouent: des logiques sociales, des idéologies, un climat, une atmosphère, la concurrence… La vérité est que Jean-Luc Mélenchon est sur un créneau minoritaire dans la société française. Il n'y a pas massivement des gens qui ont envie d'être 'à gauche toute', de renverser le système. Il n'est donc pas sur le bon créneau s'il veut vraiment être élu. Le discours qu'il tient ne peut pas rassembler 40% des Français sur son nom dès le premier tour. C'est impossible".