RMC
Politique

Législatives: dans les territoires ruraux, le "nous d'abord" est "capté par le RN"

placeholder video
Comment expliquer un vote aussi massif pour le RN en milieu rural? Benoît Coquard, sociologue et auteur de "Ceux qui restent", a expliqué ce mercredi sur RMC la peur du "déclassement" et un "sentiment d'injustice" lié au monde du travail. Selon lui, la "question de l'immigration", qui pénètre pourtant moins ces territoires, "vient se greffer" à ces problématiques.

Le concept d'une France polarisée, divisée par le vote entre les ruraux et les urbains, n'a semble-t-il jamais été autant matérialisé par le résultat des élections européennes du 9 juin. Dans l'Hexagone, tous les départements français à l'exception de Paris, du Val-de-Marne, de la Seine-Saint-Denis et des Hauts-de-Seine, ont placé le Rassemblement national en tête. Au total, 457 circonscriptions sur 577 ont été remportées par le parti d'extrême droite.

Parrallèlement, dans les plus grandes villes de France, excepté Nice et Marseille, le parti dirigé par Jordan Bardella ne se hisse jamais en tête. 8,5% à Paris, 13,46% à Lyon, 9,4% à Rennes, 11% à Nantes, 13,1% à Toulouse, 14,4% à Lille, 12,8% à Bordeaux et 14,2% à Strasbourg. À Marseille et Nice, la liste du RN est arrivée en tête avec respectivement 30,14% et 32,3% des voix.

"C'est dans les petits bourgs et les villes moyennes que l'on retrouve le plus fort vote RN", a expliqué ce mercredi sur RMC et RMC Story, dans Apolline Matin, Benoît Coquard, sociologue et auteur de Ceux qui restent, une enquête de plusieurs années sur des habitants du Grand Est.

"Dans ces bourgs, on me dit: 'Où sont les gens qui voté Macron?", a-t-il fait savoir. "Il y a une polarisation. Quand vous êtes dans des petits bourgs désindustrialisés, dans votre entourage, tout le monde dit avoir plus ou moins une affinité avec le RN, même si les gens s’abstiennent".

"On a envie de vivre ici"

Si le Rassemblement national ne possède pas pour autant un grand réseau d'élu local en milieu rural, le relais se fait autrement. "Il y a un tas de leaders d’opinions, localement. Dans les petites villes, l’ouvrier, dans ses fréquentations, dans ses amis, il a des artisans, des petits patrons. Tout ce monde se réunit très vite", a exposé le sociologue.

Selon lui, le vote des ruraux ne reflète pas une quelconque jalousie envers les urbains. Au contraire, selon Benoît Coquard: "Ils me disent: 'On a envie de vivre ici, Paris jamais de la vie'. C'est la mentalité du 'nous d’abord, les gens d’ici, les vrais amis, la famille'". Ce repli est capté par le RN."

Pour le sociologue, les électeurs RN ne semblent pas s'incommoder du programme économique du Rassemblement national, si tant est qu'il soit réalisable ou pas. "Ils se disent que ça ne marche déjà plus. Les grandes usines ont disparu, le service public est en décrépitude. Même si le RN fait pire économiquement, ça ne va que continuer ce qu’ils ont l’impression de ce qui est déjà engagé, notamment depuis Macron et avant."

"Sentiment d'injustice"

Le sentiment qui prédomine, selon Benoît Coquard, c'est: "On n'a plus rien à perdre". Toujours selon lui, l'électorat RN est paralysé par une peur du déclassement et subit la "concurrence avec leurs semblables". "Il y a moins de boulot, les bonnes places sont plus concurrentielles, avec des logiques de piston. Ce sentiment d’injustice domine dans leur vie, tout le monde se tire dans les pattes."

Selon les enquêtés cités par le sociologue, "Marine Le Pen est la seule à dire que cela pète de partout". Les ruraux semblent entendre, dans les promesses du RN, l'assurance de ne plus être les derniers de l'échelle sociale.

"Le RN s’est construit sur le rejet et la stigmatisation de l’assistanat, les immigrés, l’immigration. C'est l'idée qu'il y aura toujours des groupes sociaux qui seront toujours maintenus en dessous de vous, de ne pas tomber plus bas, de pas être catégorisés comme ceux qui ne travaillent pas. Voter RN, c’est être du côté de ceux qui travaillent", a-t-il poursuivi.

Un urbain peste contre la "dictature de la ruralité"

Jean-Luc Mélenchon avait forgé il y a quelques années l'expression "Fâchés, pas fachos", pour tenter de faire revenir vers soi l'électorat RN. Julien, infirmier à Montpellier et auditeur RMC, a souhaité rappeler, selon lui, que le monde rural "votait contre l'immigration alors qu'ils croisent un arabe tous les 36 du mois". "Il y en a marre de cette dictature de la ruralité qui consiste à la vendre comme si c'étaient des gens vertueux et nous dans les villes, on serait des gros cons prétentieux."

Pour Benoît Coquard, "tout est mêlé". L'électorat RN "a peur d’être déclassé économiquement" avec "le discours du choc de civilisation et d’une immigration à l’échelle globale". Ils "ne la "vivent pas dans leur bourg" mais "ces concurrences et oppositions sont recyclées de cette manière-là".

Ce tableau conflictuel du monde social, longtemps galvanisé et repris par la gauche à l’heure du Parti communiste, aujourd’hui, c’est le RN qui attrape ça", a poursuivi le sociologue. "La question des immigrés, elle arrive en surplus et se greffe à ça."

L'invité du jour : Benoît Coquard - 19/06
L'invité du jour : Benoît Coquard - 19/06
10:18

Vers une France polarisée entre l'extrême droite et la gauche?

Le chercheur a imaginé une France polarisée à l'américaine, entre deux blocs, celui de la gauche, "unie", et du Rassemblement national, qui apparaît désormais comme un parti de gouvernement. "Macron va s'affaiblir ou disparaîte", a-t-il anticipé. "Il va y avoir une forte polarisation à l’américaine, qui ont des Etats démocrates très progressistes et des Etats conservateurs qui remettent en cause le droit à l’avortement."

Léo Manson