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Niveau de lecture des écoliers français: "Il y a eu peu de cohérence dans nos politiques éducatives"

Une salle de classe (photo d'illustration)

Une salle de classe (photo d'illustration) - XAVIER LEOTY / AFP

La France dégringole. L'Hexagone arrive à la 34e place (sur 50) du classement international PIRLS, un baromètre qui paraît tous les cinq ans et évalue les niveaux de compréhension écriture des écoliers de CM1. Bruno Suchaut, professeur en sciences de l'éducation à l'université de Lausanne, explique à RMC.fr comment les élèves en sont arrivés là.

Bruno Suchaut est professeur en sciences de l'éducation à l'université de Lausanne. Il a dirigé l'Institut de Recherche sur l'Education (Irédu) à l'université de Bourgogne.

"Pour la France, cette baisse dans la classement Pirls est inquiétante, d'autant qu'elle ne fait que s'accentuer depuis 2001. A un niveau global, on s'aperçoit qu'il y a eu en France assez peu de cohérence et de continuité dans les politiques éducatives.

Quand on regarde entre 2001 et l'année 2016, où l'enquête a été réalisée, une dizaine de ministres se sont succédés. Et, sur une période plus récente, entre 2011 et 2017, ce sont même 5 ministres différents qui se sont enchaînés, avec des politiques et des messages qui ne sont pas les mêmes.

"Il manque un investissement massif dans l'école primaire"

On du mal à avoir des objectifs à long terme, ce que d'autres pays font peut-être mieux… Et cela n'est pas sans effets sur les enseignants, qui entendent des discours qui ne vont pas dans le même sens et des pratiques préconisées qui peuvent différer.

Par ailleurs, il manque de l'investissement dans l'enseignement primaire. Les coûts par élève sont assez élevés dans le secondaire, mais la priorité à l'enseignement primaire n'a pas été dégagée. Ce qui caractérise la France, ce sont aussi les écarts de niveau entre élèves, notamment entre ceux des milieux défavorisés et les autres, écart qui augmente au cours du temps.

Il faudrait donc un investissement massif sur l'éducation prioritaire, avec des professeurs expérimentés, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui, car souvent, ce sont les enseignants les plus jeunes et les moins expérimentés.

On a joué l'aspect quantitatif plutôt que qualitatif

Il faut vraiment mettre l'accent sur les apprentissages fondamentaux dès la maternelle. On pourrait préconiser un enseignement continu de la compréhension écrite, de manière plus systématique, et intensive.

Paradoxalement, on se rend compte qu'il n'y a pas de relation entre le nombre d'heures enseignées et les résultats qu'on obtient. Ce qui importe, c'est l'utilisation du temps. Les enseignants disent consacrer 165 heures à la lecture-compréhension en CM1. Or, c'est 146 heures dans les autres pays.

Certes, le temps scolaire a légèrement baissé. On en est à 24 heures d'enseignement hebdomadaire. On était à 27 heures il y a quelques années. Il y a 100 ans, on avait 500 heures de plus par an... La Finlande consacre beaucoup moins de temps que nous à l'enseignement et ils ont de meilleurs résultats à beaucoup de tests. C'est l'aspect qualitatif qui joue plutôt que la quantité. Mais certains élèves ont besoin de 3 fois plus de temps que d'autres, il faudrait systématiser l'apprentissage en petits groupes, et on ne sait pas bien le faire.

"Il ne faut pas hésiter à être prescriptif"

Le dédoublement des classes de CP, il faudrait aussi l'étendre au CE1. Le soutien scolaire a montré son inefficacité, car les chiffres ne cessent de baisser. On est clairs sur les bienfaits de la méthode syllabique dans l'apprentissage de la lecture. Il faut un entraînement massif à la phonologie, la reconnaissance des sons et des phonèmes, avant le CP. Après, un apprentissage systématique du code alphabétique, et ensuite de la compréhension écrite. C'est une chaîne.

Le débat est souvent idéologique. Blanquer a décidé de programmer une dictée par jour: ça va être encore une fois polémique. Il ne faut pas considérer la dictée seulement comme une évaluation, mais inscrire cet exercice formel dans un travail en amont et en aval. Il ne faut pas hésiter d'être prescriptif avec les enseignants. Ils sont habitués à avoir beaucoup de liberté par rapport aux instructions officielles. Ils ont parfois besoin d'un guide structuré."

Propos recueillis par Paul Conge