Un quart des Français veulent l’armée au pouvoir: pourquoi l’histoire est empreinte de méfiance

L’armée est l’institution française en laquelle les Français ont le plus confiance selon le baromètre du Cevipof publié ce mardi. Un nombre important des sondés serait même favorable à ce que les militaires dirigent le pays… C’est l’info assez stupéfiante qui ressort de cette enquête sérieuse, réalisée en même temps dans quatre pays, la France, l'Allemagne, l'Italie et la Pologne. Trois Français sur quatre ont confiance en l'armée, 19% une grande confiance et 54% plutôt confiance. Mais c’est la réponse à la question suivante qui est étonnante: est-ce que vous seriez favorable à ce que l'armée dirige le pays? 23% des Français répondent oui. Près d’un Français sur quatre ne serait donc pas contre un gouvernement tenu par les militaires. Dans la même logique, 43% affirment que moins de démocratie permettrait plus d’efficacité. Ce baromètre traduit, à l'évidence, une demande d’autorité. Ce que les chercheurs du Cevipof appellent pudiquement un recentrage sur l'État nation…
La France est pourtant un pays qui, historiquement, se méfie des militaires. Et où les militaires se méfient de la politique. En avril 2021, une vingtaine d'anciens officiers supérieurs avaient signé une tribune dans Valeurs Actuelles pour appeler au retour de l’honneur et du devoir au sein de la classe politique. L’affaire avait fait beaucoup de bruit, puis les militaires étaient rentrés dans le rang. En 2017, le chef d'état-major des Armées, le général Pierre de Villiers avait été limogé par Emmanuel Macron pour avoir pris une position politique, avoir contesté le budget de la Défense. Le général, frère de Philippe de Villiers, a ensuite eu des velléités de carrière politique. Il a bénéficié de sondages prometteurs, mais il n’a pas franchi le pas.
Pas de ministres militaires sous de Gaulle
Mis à part ces deux épisodes récents, il y a eu en France très peu d'interférences entre le monde politique et le monde militaire. Nous avons tout de même connu un militaire à la tête du pays, le général de Gaulle. Mais c'était un général qui se méfiait des militaires. Il savait que c'était un militaire, le maréchal Pétain, qui avait tué la République en 1940. Ensuite, Charles de Gaulle avait dû faire face au putsch des généraux à Alger, ce quarteron de cinq étoiles qui a tenté de le renverser en 1961. L’année suivante, c’est encore un militaire, le lieutenant-colonel Jean Bastien-Thiry, qui a organisé l’attentat du Petit-Clamart où Charles de Gaulle et sa femme ont failli être tués. Bref, de Gaulle avait de bonnes raisons de tenir l'armée à l’écart du pouvoir. En onze ans à l’Elysée, il n’a jamais nommé un seul militaire au sein de ses gouvernements.
Curieusement, son successeur Georges Pompidou a ensuite nommé deux fois de suite, comme Premier ministre, des anciens militaires: Jacques Chaban-Delmas et Pierre Messmer. Mais c’étaient surtout des hommes de la résistance qui, après la guerre, étaient revenus dans le civil. Depuis, plus aucun militaire de carrière n’est entré dans un gouvernement, sauf brièvement le général Marcel Bigeard sous Valéry Giscard d’Estaing.
La méfiance entre la politique et les militaires remonte à loin, à la Troisième République. Le deuxième président était un général, Patrice de Mac Mahon. Tous les ministres de la Défense sans exception étaient des généraux. Mais en 1889, un de ces ministres, le très populaire général Georges Boulanger, a eu la tentation de renverser le pouvoir. Il y a finalement renoncé et s’est enfui en Belgique. A partir de cette date, les ministres de la Défense ont tous été des civils pendant des années… Et puis quelques années après, il y a eu la vraie rupture. L’affaire Dreyfus, quand tout l'état-major a menti pour se protéger et pour faire accuser à tort un jeune officier juif. Il faudra ensuite des décennies pour rétablir le contrat de confiance entre la nation et l'armée… Et pendant des années, jusqu’en 1944, les militaires en France n’avaient pas le droit de vote.
Aujourd’hui, en tout cas, tout cela est loin derrière nous. On a une armée parfaitement républicaine, absolument aux ordres du pouvoir civil, même si l’on apprend que 23% des Français la verraient bien prendre le pouvoir…