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"Vaut mieux tard que jamais": pilote chez Air France, il a démissionné à cause de son éco-anxiété

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Anthony Viaux était commandant de bord chez Air France jusqu'à ce début d'année, avant finalement de démissionner. Pas pour les conditions de travail mais en raison de sa culpabilité. Eco-anxieux, l'homme de 49 ans avait "l'impression d'être un peu responsable" du réchauffement climatique. Il publie un livre qui raconte son parcours.

Ancien pilote de ligne chez Air France, Anthony Viaux, 49 ans, a décidé de tourner le dos à une carrière qu’il exerçait depuis vingt ans. Devenu commandant de bord en 2018, il avait pourtant réalisé le rêve de toute une vie.

En 2022, il choisit pourtant de prendre un congé sabbatique avant de finalement démissionner en début d'année 2025. La raison? Une éco-anxiété devenue impossible à ignorer. Il raconte cette trajectoire personnelle dans son livre Voyage interrompu, confidences d’un pilote de ligne éco-anxieux, publié ce 3 octobre aux éditions de l’Aube.

"J’étais un témoin privilégié", confie-t-il. "Je survolais les glaciers qui fondaient, les feux de forêts, les inondations. J’avais cette impression que j’étais un peu responsable de tout ça de par mon métier." Peu à peu, ce sentiment s’est transformé en culpabilité. "Je suis devenu éco-anxieux. Cela se traduisait par de l’inquiétude pour l’avenir, la peur pour les générations futures, et parfois même de la honte de participer à ce système", expose-t-il ce samedi sur RMC.

Une "boule à l’estomac" et une décision radicale

L’ancien commandant de bord raconte avoir ressenti dans son corps cette tension intérieure, "comme une boule à l’estomac". Dans ses échanges avec ses collègues, il partageait son malaise : "Je leur disais que je ne me sentais pas bien par rapport à ces histoires. Ils répondaient que ça ne servait à rien d’arrêter, car je serais remplacé", se rappelle Anthony Viaux au micro d'Anaïs Matin.

L'invité du jour : Anthony Viaux - 04/10
L'invité du jour : Anthony Viaux - 04/10
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Pourtant, la décision s’est imposée. "Ça devenait insupportable. J’ai écouté ma conscience et cette petite voix intérieure qui me disait que je ne pouvais plus participer à tout ça." Depuis, il ne vole plus. "Je fais une sorte de jeûne de l’aéronautique", sourit-il, tout en reconnaissant ne pas exclure totalement de revoler un jour, peut-être dans le cadre du planeur ou du parapente.

L’aviation, un secteur en pleine expansion… et en contradiction avec le climat

Le témoignage d’Anthony Viaux résonne particulièrement à l’heure où le trafic aérien atteint des sommets. Selon le ministère de la Transition écologique, l’été 2024 a battu des records en France, avec près de 18,8 millions de voyageurs transportés rien qu’au mois d’août, un niveau jamais atteint auparavant. À l’échelle mondiale, environ 4,9 milliards de passagers ont pris l’avion en 2024, un record historique. Et les projections annoncent un doublement d’ici 2043.

Or, plus d’avions dans le ciel signifie aussi plus de kérosène brûlé. Comme le rappelle Franceinfo, un aller-retour Paris–New York correspond à environ 1,7 tonne de CO2 par passager, soit près de 19 % des émissions annuelles d’un Français. Et cela sans même compter l’impact supplémentaire des traînées de condensation, responsables d’une large part de l’effet climatique de l’aviation.

"L'aviation est un bienfait mais c'est la dose qui fait le poison", concède Anthony Viaux

Si les solutions techniques pour réduire l’empreinte existent, leur déploiement reste limité. "Ce n’est pas parce qu’on peut le faire techniquement qu’on doit le faire", résume Anthony Viaux, dénonçant une fuite en avant.

67% des Français n'ont pas honte de prendre l'avion

Pourtant, dans l’opinion, la prise de conscience tarde. Un sondage réalisé en 2023 par la chaire Pégase de Montpellier Business School, cité par Le Monde, révélait que 67 % des personnes interrogées n’éprouvaient aucune honte à prendre l’avion. Seuls 12 % déclaraient le contraire.

Cette dissonance entre la croissance du trafic aérien et l’urgence climatique a conduit certains experts à proposer des mesures radicales. Le spécialiste Jean-Marc Jancovici suggère par exemple un quota de quatre vols par personne dans toute une vie.

"Il est urgent d’organiser notre avenir économique en fonction de cette contrainte", expliquait-il sur France Inter en 2023, rappelant que la possibilité de voyager autant en avion est une exception historique, liée à l’ère du pétrole bon marché. " L’aviation a du sens cependant, c’est un bienfait pour l’humanité. Mais c’est la dose qui fait le poison", résume ainsi de son côté Anthony Viaux.

Léo Manson