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Carrie Fisher s’est servie de son statut d'icône pour dénoncer notre société patriarcale

L'actrice, écrivaine et scénariste américaine Carrie Fisher en 2016 au Comic Con.

L'actrice, écrivaine et scénariste américaine Carrie Fisher en 2016 au Comic Con. - Daniel Boczarski - Getty Images North America - AFP

L’actrice et scénariste américaine Carrie Fisher est décédée ce mardi à l’âge de 60 ans. Avec Princesse Leia, le personnage qu’elle a incarné dans la saga Star Wars, puis sa dénonciation du sexisme, n’était-elle pas devenue une icône féministe pop? C’est la question qu’a posé RMC à la chercheuse Hélène Breda.

Hélène Breda est docteure en études cinématographiques et audiovisuelles, spécialisée dans le rapport entre fiction et identités culturelles, et se définit aussi comme militante féministe.

"J’ai grandi avec la saga Star Wars, comme beaucoup, cette oeuvre fait vraiment partie intégrante de ma culture et de mon éducation. Cela prend encore une place importante dans ma vie aujourd’hui et dans les choix de carrière que j’ai pu faire. Mon envie de travailler sur la pop-culture vient en partie de là.

La première image qui vient en tête du grand public lorsqu’on parle de Carrie Fisher est celle des tresses enroulées en macarons sur les oreilles du personnage de la princesse Leia. L’autre image iconique, surtout dans les esprits masculins, c’est celle du bikini doré de "L'Episode VI: Le Retour du Jedi" (1983). Mais ce qui est intéressant, c’est qu’elle ait détesté ces images et ces costumes, spécialement le bikini en question, et qu’elle l’ait dénoncé.

"Elle est parvenue à transcender le cliché de la demoiselle en détresse"

Carrie Fisher avait parfaitement conscience d’être un objet de fantasmes. Star Wars a longtemps été considéré comme une oeuvre appartenant à la culture masculine, bien que beaucoup de femmes en étaient fans. Mais, l'actrice avait bien compris tout l’intérêt de ce statut iconique. Elle a donc alors voulu utiliser le support de la fiction pour parler du monde réel. La Californienne s’en est servie pour dénoncer les diktats masculins et la culture patriarcale, car elle détestait cette image de papier glacé, de personnage figé, passif.

Ce qui est formidable c’est que cette actrice est parvenue à transcender le cliché de la "damsel in distress" ("demoiselle en détresse"), car elle voulait bien plus. Dans "L'Episode IV: Un nouvel espoir" (1977) c’est la princesse emprisonnée, donc à sauver. Elle commence pourtant à agir, sait prendre les armes, tirer et se battre.

Elle est devenue un vrai symbole d'"empowerment"

Son personnage prend vraiment le pouvoir dans "L'Episode VI: Le Retour du Jedi" (1983), en étranglant son oppresseur avec la chaîne à laquelle elle est attachée. Aussi, lorsqu’on la retrouve dans "L’Episode VII: Le Réveil de la Force" (2015), ce n’est plus la princesse Leia, c’est le général Organa ! Elle est ainsi devenue un vrai symbole d’"empowerment", de prise de pouvoir.

Même plus globalement la princesse Leia est un personnage de leader, intelligent, qui prend des décisions. Elle a ce qu’on appelle en vocabulaire militant, de l'"agency" (que l’on peut traduire en “agentivité”), c’est à dire qu’elle est le propre moteur de son action et un sujet agissant. Elle a sa propre trajectoire dans la narration, elle n’est ni un faire-valoir, ni un enjeu amoureux, son personnage est indépendant.

"Plus tard, elle regrettera son manque de critique, et le dira"

Carrie Fisher a grandi à Hollywood et a donc, dès le départ, conscience du sexisme du milieu. Lorsqu’elle commence à tourner pour George Lucas, elle a 19 ans. Dès le début, elle n’hésite pas à discuter avec lui sur les costumes, quitte à lui exposer ses désaccords, mais étant donné que cela n’est que l’un de ses premiers rôles, l’actrice n’a pas assez de poids pour se faire entendre. Plus tard, elle regrettera de ne pas avoir été plus critique, et le dira.

Aussi, il y a une anecdote qui circule beaucoup sur les réseaux sociaux qui raconte que George Lucas ne voulait pas que Carrie Fisher porte de soutien-gorge sous sa robe blanche. Elle avait protesté face à cela, sans résultat, mis à part que le réalisateur s’était empêtré dans une explication vaseuse.

"Carrie Fisher n'a pas tenu la place qu'on attendait de la part d'une femme"

Enfin, lorsqu’elle tourne dans "L'Episode VII", âgée de près de 60 ans, elle est une nouvelle fois la cible de remarques sexistes sur son physique, sur le fait qu’elle a vieilli ou encore grossi. Elle déplore alors les attaques dont elle est l’objet, que ce soit sur les réseaux sociaux ou dans les médias. Aucun de ses partenaires masculins de l’équipe, que ce soit Harrison Ford ou Mark Hamill, n’avaient eu des critiques comparables.

Carrie Fisher s’est longtemps battue de manière active contre la grossophobie, contre l’âgisme, et contre ce sexisme qui cherche à rendre les femmes comme de véritables objets sexuel. Elle n’a pas tenu la place qu’on attendait de la part d’une femme, c’est à dire de ne pas trop parler, de ne pas rire trop fort, ne pas faire de blagues sexuelles, etc…

Elle a pris le contrepied total de cela, et est devenu l’anti-princesse ! Elle a utilisé l’image de ses personnages, dans Star Wars mais aussi dans The Blues Brothers, ou Quand Harry rencontre Sally, afin de porter une image d’acceptation de soi, “d’empowerment”, avec sa parole publique. Elle s’est servie de son statut d’icône et du fait que la fiction est un lieu de cristallisation des débats sociaux pour dénoncer notre société patriarcale".

Propos recueillis par Brice Laemle