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8 bébés pour une puéricultrice de nuit: le cadre intenable des pouponnières surchargées de l'ASE

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Alors qu'un rapport dédié à la refonte de l'ASE a été rendu public ce mardi 8 avril, le journaliste Claude Ardid est revenu sur les témoignages choquants des professionnels du secteur, travaillant notamment dans les pouponnières, qu'il a recueillis.

Dans son rapport d'enquête parlementaire très attendu pour refonder l'Aide sociale à l'enfance (ASE), rendu ce mardi 8 avril, la député socialiste Isabelle Santiago, pointe une "crise d'attractivité majeure" et la nécessité "d'un électrochoc", martelant que "la protection de l'enfance est dans le gouffre".

Dans ce texte, à la suite duquel elle propose plus de 90 mesures, elle évoque les pouponnières surchargées de l'ASE. Nourris et changés, les nourrissons ne recoivent que très peu d'affection. La députée fait d'ailleurs état de visages tristes chez ces nombreux enfants extraits de leur cellule familiale.

Claude Ardid, grand reporter Charlie Hebdo, s'est emparé du sujet dans son ouvrage "Les enfants du purgatoire", publié en 2023. Au fil des témoignages qu'il a reçus, il n'a pu que constater le cadre intenable dans lequel évoluent les professionnels du secteur.

Des professionnels en détresse

Sur le plateau des Grandes Gueules, il prend exemple sur Emma, puéricultrice, qui a décidé de travailler de nuit dans une pouponnière. Six enfants sont à sa charge, puis deux autres arrivent. "Elle en a deux à ses pieds. Elle essaie de les bercer pour qu'ils s'endorment. Il y en a quatre autres qui hurlent non loin", raconte le journaliste.

La professionnelle n'en peut plus, s'adresse à sa directrice, qui lui rappelle qu'elle "savait dans quoi elle s'engageait", puis qu'aucune aide supplémentaire ne peut lui être apportée. Un autre jour, elle fond en larmes et s'en va.

"Elle a pris sa voiture, elle est montée dans une forêt. Heureusement qu'elle n'est pas sortie du véhicule, car elle avait l'intention de se promener et je suis convaincu qu'elle allait se jeter du haut de la falaise dans la mer", affirme Claude Ardid.

Se retirer pour ne plus voir l'horreur

Cette détresse est commune pour celles et ceux qui évoluent dans le secteur de l'enfance. Deux auxiliaires de puériculture qui travaillent ou ont travaillé dans des établissements ont d'ailleurs pris la parole auprès de RMC sous couvert d'anonymat. Elles ont aussi connu cet enchaînement infernal entre plusieurs nourrissons dans les pouponnières.

"C'est un peu un travail à la chaîne (...) On ne les prend pas assez dans les bras, on n'arrive pas assez à se poser pour faire des activités avec eux", affirme l'une d'entre elles.

"Normalement, la pouponnière devrait être un tremplin. Les enfants ne devraient pas rester dans du collectif, ils ont besoin de leur propre environnement, leur propre chambre… Mais on manque énormément de famille d'accueil", indique une autre.

Lors de l'écriture de son livre, Claude Ardid a également constaté que des assistants sociaux ou autres professionnels du secteur renoncent parfois à leur poste, préférant se faire rétrograder que de voir l'horreur à laquelle ils sont parfois confrontés, notamment au sein de certains foyers, où la maltraitance est observée.

"Les enfants comptent pour du beurre"

Le journaliste a discuté avec de nombreux professionnels, à savoir des psychologues, des psychiatres ou encore des éducateurs. Les professionnels ont tenté d'identifier les éléments qui ont mené à cette maltraitance et à cette présence croissante d'enfants à l'ASE.

"Beaucoup d'entre eux disent qu'il y a tellement de séparations conflictuelles et on s'aperçoit que beaucoup de couples font des enfants comme s'ils allaient acheter une pâtisserie à la boulangerie du coin. Ils divorcent avec une facilité dérisoire, les enfants comptent pour du beurre", énumère-t-il.

Ce constat alarmant n'est pas surprenant pour Franck. Sur le plateau des Grandes Gueules, cet assistant familial explique que les enfants "sont systématiquement orientés vers les foyers" dès l'âge de 14-15 ans, "car il faut libérer de la place pour accueillir des bébés ou de jeunes enfants".

Il note en outre que le nombre d'enfants ne diminue pas, contrairement au nombre d'assistants. 30.000 postes d'employeurs sociaux dans le secteur de la protection de l'enfance manqueraient, d'après le rapport d'Isabelle Santiago.

En de telles circonstances, Claude Ardid estime que "la réponse doit être politique". S'il attend beaucoup du rapport de la députée socialiste, il craint "que ce soit un rapport de plus, faute de moyens financiers".

Mélanie Hennebique