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"On en vient à de la négligence": dans les pouponnières de l’ASE, les puéricultrices tirent le signal d’alarme

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Témoignage RMC - Alors qu’est présenté aujourd’hui un rapport sur "les manquements des politiques publiques de protection de l’enfance", RMC a pu échanger avec des personnels de pouponnières de l'ASE, l'Aide sociale à l'enfance. Ces structures accueillent en principe les bébés placés, de quelques jours de vie à 3 ans.

C'est un rapport parlementaire sur la protection de l'enfance très attendu qui est présenté ce mardi. La rapporteure, la députée socialiste Isabelle Santiago, dénonce la création de "bombes à retardement" et pointe la responsabilité première de l’Etat et le manque de moyens alloués aux départements pour gérer l’ASE.

Il manquerait 30.000 professionnels en France dans le secteur de la protection de l’enfance, notamment dans les pouponnières, ces structures qui accueillent en principe les bébés placés, quelques jours après leur naissance et jusqu'à trois ans.

RMC a pu rencontrer deux auxiliaires de puériculture qui travaillent ou ont travaillé dans des établissements dans le sud de la France. Elles ont accepté de s'exprimer sous couvert d'anonymat pour alerter.

108% d'occupation

Justine parle avec colère, rappelle en soupirant l’enchainement des biberons, des bains, parfois seule avec sept nourrissons. “C’est un peu un travail à la chaîne, lâche-t-elle.

"On ne les prend pas assez dans les bras, on n’arrive pas assez à se poser pour faire des activités avec eux”, dénonce-t-elle.

Le taux d’effectif moyen des pouponnières est de 108% et bien souvent le nombre d'enfants dépasse le nombre de places. 

“Ce que vous faites avec vos enfants, nous on le fait pour eux: rendez-vous médicaux, coiffeur, parc, etc". Mais par manque de personnel, celles qui restent manquent de temps pour ceux que l’auxiliaire de puériculture appelle des "cabossés". “On ne peut pas répondre à leurs besoins à l’instant T, on les laisse pleurer parce qu’on est en biberon avec un autre enfant. C’est frustrant. Pour moi on en vient à de la négligence”, estime Justine.

Des enfants parfois atteints de troubles du sommeil

Plusieurs employées citent en exemple les sorties hors de la structure. “Ils sont loin d’être sortis tous les jours", s’exclame Justine. "Il peut se passer un mois sans qu’on fasse de sorties, parce qu’on ne peut pas, parce que des collègues sont en vacances, parce qu’il y a des arrêts maladies… C’est intolérable”, déplore-t-elle.

La pouponnière a tout de même un jardin, pour que les enfants prennent l’air, mais Justine enchaîne, émue: "Ce sont des enfants qui ne connaissent pas les supermarchés par exemple, ils ne savent pas qu’il y a autant de variétés de gâteaux dans le monde ! C’est tout bête mais ils ne connaissent pas”. 

En théorie, les enfants placés en pouponnière y restent 6 mois. Justine en a vu qui y sont restés 3 ans, parfois plus. C’est “trop” pour la jeune femme. “Ce sont des enfants qui n’ont pas de visites de familles, donc ils ne voient parfois que nous et les intérimaires qui défilent donc c’est compliqué pour eux. Il y a beaucoup de troubles du sommeil, tout ce qui est maladies nerveuses, de peau, comme de l’eczéma”, décrit-elle. 

“Certains enfants pleurent moins, ou presque plus, refusent de manger ou se réfugient dans le sommeil. Pas parce qu’ils ont besoin de dormir mais parce que l’adulte n’est pas assez présent pour donner ce temps de qualité", ajoute Clara en se tordant les mains. 

“Normalement, la pouponnière devrait être un tremplin, souligne Emilie, une autre auxiliaire de puériculture. Les enfants ne devraient pas rester dans du collectif, ils ont besoin de leur propre environnement, leur propre chambre… Mais on manque énormément de familles d’accueil”, souffle-t-elle.  

Un sentiment d'impuissance

Clara se remémore ces moments où les rares familles d’accueil arrivent à la pouponnière. “C’est formidable pour l’enfant qui est accueilli dans un foyer... mais tellement dur pour ceux qui restent”.  

Elle regrette que les pouponnières soient méconnues, et leurs enfants oubliés de beaucoup. “Ce serait bien de venir passer voir ce que c’est un 24 décembre, de voir ces tablées de petits bouts qui sont là et de se dire que leur place, ce serait dans une famille ! Ca vous prend aux tripes", confie-t-elle le menton tremblant. 

Clara a démissionné, épuisée, il y a quelques mois. Justine y pense. Elle a ce sentiment partagé de culpabilité. “On se retrouve tous à faire comme on peut mais on ne peut pas faire comme on peut avec ces enfants-là”, souffle la première. “Moi je rentre le soir je n’ai pas l’impression d’avoir accompli mon métier de la meilleure des manières, je ne faisais pas ce métier pour délaisser des enfants!” s’emporte la seconde. 

Dans son rapport, la députée socialiste Isabelle Santiago pointe la responsabilité première de l’Etat et la diminution des moyens alloués aux départements pour gérer l’Aide sociale à l’enfance, dont les pouponnières sont une partie. Il manquerait 30.000 professionnels en France dans le secteur de la protection de l’enfance. 

Pour Emilie, payée moins de 2000 euros nets par mois, il faudrait améliorer leur statut et leur salaire. “Celui des familles d’accueil aussi !” Inciter à sauter le pas, alors que les responsabilités sont grandes. “Si on a du personnel en plus, on pourra faire plus”

Marion Gauthier avec Guillaume Descours