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Le tabou de l'homme qui pleure est-il en train de tomber?

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Pleurer n'a pas bonne presse quand on est un homme, mais certains exemples de l'actualité récente montrent que la société est en train d'évoluer.

"Quand un enfant met fin à ses jours, il n'y a pas de mots." Gorge nouée et yeux embués, le ministre de l'Éducation Pap Ndiaye était apparu très ému en évoquant le suicide du jeune Lucas devant le Sénat, le 18 janvier dernier.

Le week-end dernier, Novak Djokovic s'effondrait en larmes après sa victoire à Melbourne contre Stéfanos Tsitsipàs. Après la défaite de l'Équipe de France en finale de la Coupe du monde en décembre, Kylian Mbappé aurait également pleuré dans les bras de son père à l'entrée des vestiaires.

Les hommes pleurent-ils aujourd'hui plus facilement en public? "En petit comité ouais", "ça peut arriver pour un film, pour de la joie", "je prends sur moi, faut garder la face", ont répondu certains au micro de notre reporter Martin Cadoret. Pas franchement le signe d'un important changement des mentalités.

Être une personne normale

Certains exemples de l'actualité nous disent pourtant le contraire. Chez les hommes politiques, on observe notamment un tournant depuis une petite dizaine d'années, selon le politologue Christian Le Bart.

"Obama, à l'occasion des tueries dans les lycées américains, a fait preuve d'une compassion qui s'est exprimée par les larmes, une façon de manifester sa relative impuissance", illustre celui qui a publié aux éditions Armand Colin "Les émotions du pouvoir".

"Avec Emmanuel Macron, on a un rapport aux émotions qui est beaucoup plus direct. Dans plusieurs cérémonies, il a été au bord des larmes avec parfois Brigitte Macron à ses côtés qui, elle, pleurait franchement", souligne Christian Le Bart.

Ces larmes pourraient même, parfois, servir aux personnalités. "Je dirais qu'elles sont bénéfiques pour la personne publique en question car il s'agit de montrer qu'on est nous-même un membre de la société à part entière", analyse Annalisa Casini, docteure en psychologie sociale à l'université de Louvain (Belgique).

Reste que les femmes en politique ne semblent pas logées à la même enseigne, les larmes pouvant les faire passer pour des "frustrées". Lors d'un débat sur le Pacs en 1998, Christine Boutin a été moquée par de nombreux ministres et députés après s'être effondrée en larmes.

Chez les sportifs, les larmes surgissent dans des situations différentes et sont souvent plus acceptables. "Ce sont des larmes de rage ou de joie, des émotions acceptées chez les hommes", relève Annalisa Casini.

Normes fluctuantes

Des personnalités comme les artistes permettent aussi de faire évoluer les mentalités. Dans son tube "Kid", Eddy de Pretto rejette tout ce que la société impose aux hommes: les muscles, le foot, la supériorité, la force animale, et bien sûr, les larmes.

Mais les clichés ont encore la peau dure. Selon le dernier rapport du Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes, 56% des hommes considèrent que les femmes sont naturellement plus douces et 42% pensent qu'il est plus difficile pour les hommes de pleurer.

Il n'en a pas toujours été ainsi. Selon Anne Vincent-Buffault, qui a étudié le rôle des larmes à travers les époques, ces normes sont fluctuantes.

"Au 18e siècle, le fait d'être sensible au malheur d'autrui, cela passe par des larmes. Par exemple, un homme dit qu'il est amoureux quand il pleure. C'était l'expression d'une sensibilité commune. On pleurait beaucoup sous la Révolution française", explique la chercheuse.

Selon elle, "la larme a été un peu interdite aux hommes, sauf rares occasions, au 19e siècle". En 2023, peut-être, pleurer dans l'espace public redeviendra une norme masculine.

Martin Cadoret avec L.B