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Radicalisation des militants LR? "On n'observe pas un départ franc et massif des électeurs vers le FN"

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- - JOEL SAGET / AFP

Alain Juppé a confirmé lundi qu'il ne serait "pas candidat" à l'élection présidentielle, et qu'il ne jouerait pas le rôle de recours à François Fillon. L'une des raisons évoquées par le maire de Bordeaux est que "le noyau dur des militants Les Républicains s'est radicalisé". Mais cette radicalisation de l'électorat de droite existe-t-il réellement? Eléments de réponse.

Martial Foucault, professeur à Sciences Po Paris et directeur du Cevipof:

"Il y a deux manières de voir le terme de radicalisation employé par Alain Juppé. Tout d'abord, dans cette campagne, est-ce que la stratégie jusqu'au-boutiste de François Fillon ne va pas conduire à une forme de radicalisation de son électorat? Et puis, au-delà du candidat Fillon, pour le parti Les Républicains, est-ce que cette situation ne va pas provoquer de très fortes divisions, plus qu'une implosion qui serait prématurée et exagérée, entre les tenants d'une droite 'Sarkozy-Fillon compatible' et une droite plus progressiste, plus centriste, plus humaniste incarnée par Juppé et NKM?

"Il n'y a pas de radicalisation électorale"

Sur la question de l'électorat, si les propos d'Alain Juppé indiquent une radicalisation de l'électorat de droite, et donc de l'électorat qui soutient toujours François Fillon, ce terme, dans la bouche du maire de Bordeaux, veut dire l'on aurait une droite beaucoup plus traditionnelle, beaucoup plus classique et beaucoup plus dure. Cela fait penser au mouvement de la droite forte, de la droite décomplexée. Or, nous, dans nos enquêtes Cevipof, nous observons que les électeurs de Fillon qui ont décroché, entre février et mars, ne sont pas seulement allés vers Marine Le Pen. Certains sont allés vers Emmanuel Macron et d'autres vers l'abstention.

Donc, quand Alain Juppé parle de radicalisation, il ne parle pas d'électeurs qui iraient voter encore plus à droite que la droite. La preuve, la candidature de Nicolas Dupont-Aignan ne reçoit que très peu de déçus de François Fillon. On n'observe pas non plus un départ franc et massif vers le FN. Il n'y a donc pas de radicalisation électorale. En revanche, il est important de préciser que l'électorat qui maintient sa confiance en François Fillon est un électorat très classique de la droite, sur le plan économique comme sur le plan culturel ou sur le plan des valeurs.

"L'électorat de Fillon repose sur des valeurs très conservatrices"

Concrètement, cet électorat est à tendance libérale, très conservateur sur les valeurs, considère qu'il faut être plus restrictif sur les questions migratoires, considère aussi, pour une minorité, qu'il faut restaurer la peine de mort. En ce sens, reste, parmi les soutiens indéfectibles de François Fillon, un électorat qui se repose sur des valeurs très conservatrices. Finalement, la grande difficulté de François Fillon est de parvenir à conserver le reste de l'électorat de droite, celui qui suivait suite aux consignes données par Alain Juppé ou Nicolas Sarkozy.

Pour autant, est-ce que la droite qui soutient François Fillon est différente de celle qui soutenait Nicolas Sarkozy ou Jacques Chirac? Oui, parce que c'est plus une droite de la France des champs que de la France des villes. L'électorat de Fillon est moins urbanisé que celui de Sarkozy. Cela correspond à un décrochage très fort du vote des catégories supérieures privilégiées (les cadres, les professions intellectuelles,…) qui trouvent qu'Emmanuel Macron est un candidat plus proche de leurs préférences. A l'inverse, François Fillon représente aussi cette droite de notables de province et qui rassemble des catégories catholiques très fortes.

"Sur le terrain des idées, il n'y a pas source d'une possible radicalisation entre deux droites"

Sur la question des divisions au sein du parti Les Républicains, je pense que celle-ci ne se pose que sur la personnalité de François Fillon dans cette campagne. Cette division ne se fait que sur un plan très personnelle. Ce n'est pas une division comme on a pu l'observer au PS entre une gauche réformatrice et une gauche plus socialiste, celle de Benoît Hamon. A droite, ce débat ne se pose pas. Il n'y a pas de profonds différends sur le terrain économique, de la sécurité ou de l'immigration.

Au cours de la primaire, les différences entre les candidats se faisaient vraiment dans l'ampleur du changement, dans le timing de la réforme. Sur le fond, sur le terrain des idées, il n'y a pas source d'une possible radicalisation entre deux droites. On reste toujours sur une droite très verticale, très bonapartiste même si Alain Juppé est plus proche d'une droite orléaniste. Il n'empêche que s'il y a division, voire implosion, elle ne se fera pas sur ce terrain-là mais sur une crispation autour du candidat François Fillon. Car une partie de la droite voit une élection présidentielle lui échapper totalement.

Enfin, quand Alain Juppé évoque 'un noyau dur radicalisé', il veut peut-être parler des personnes présentes ce dimanche place du Tracadéro à Paris. En effet, le peuple de droite n'a pas l'habitude de descendre dans la rue. Ce n'est pas dans le logiciel de fonctionnement du parti. Donc le fait de constater un tel rassemblement a pu alerter Alain Juppé. Plus globalement, il y a, au sein des Républicains, un malaise profond d'observer des gens, mobilisés autour d'un candidat, s'attaquer aux institutions de la République, et notamment de la justice. Dans l'histoire de la Vème République, la droite est toujours restée fidèle à l'esprit de la Constitution et n'a jamais contesté le mal fondé des institutions. Or, François Fillon, dans sa campagne, s'attaque à plusieurs pouvoirs: la justice, les policiers, les journalistes comme à l'exécutif. Et sur ce point, probablement qu'Alain Juppé ne se reconnaît pas dans cette stratégie et considère donc qu'il y a une forme de radicalisation".

Propos recueillis par Maxime Ricard