"J’ai cru que j’étais un privilégié": condamné, un pharmacien dénonce le système des cadeaux d’Urgo

Des cadeaux en échange d’une renonciation à une remise commerciale. En janvier 2023, le groupe Urgo a été condamné par le tribunal correctionnel de Dijon à une amende de 1,125 million d'euros pour des pratiques frauduleuses proposées à des milliers de pharmaciens. Marc Alandry, pharmacien dans l’Aude et vice-président de l’Association des pharmacies rurales, fait partie des 9.800 officines françaises, soit près d’une sur deux, qui ont été touchées. Il a été condamné à une amende de 17.500 euros par le tribunal judiciaire de Carcassonne. Un représentant d’Urgo lui avait proposé ce système de "troc".
"Avec mon père, nous le connaissions, raconte-t-il dans Apolline Matin ce vendredi sur RMC et RMC Story. Mon père a pris sa retraite, j’ai pris le relais. On a eu des liens très amicaux. J’avais entièrement confiance en lui. Je m’interroge encore avec mon avocat sur la pertinence de cette manœuvre envers ma pharmacie. Ils ont une excellente gamme de produits pour les premiers soins. Elle a été toujours été appréciée par les pharmaciens. Ça n’a rien changé au volume de mes achats, c’est ce qui m’a mis dedans."
"A chaque fois, je demandais si c’était légal, assure Marc Alandry. Ce n’étaient pas des cadeaux, mais un troc. J’ai cru que j’étais un privilégié, alors que je suis loin d’en être un. Les pharmaciens ont tous dû se croire privilégiés. C’était peut-être le bon coup d’Urgo, on nous proposait soit la remise habituelle sur ces produits-là, en générale des compresses, soit on pouvait accumuler des points et avoir des aspirateurs, etc. La première fois où j’ai été hameçonné, c’est parce que ma femme de ménage venait de casser l’aspirateur et il m’a dit qu’à la place de toucher la remise, je pouvais en avoir un en échange de points. Je lui ai demandé d’emblée: ‘Est-ce légal?’. Je ne suis pas juriste. Mon truc, moi, c’est l’aspirine. C’est pour ça que je suis atterré."
"Je n’ai pas fraudé la sécu, ni mes patients"
Au tribunal, le pharmacien, également pompier volontaire, a accusé le coup face à la sentence de la juge, lui disant qu’il ne méritait pas de faire ce métier. "Je sais pourquoi il y a une barre, maintenant. C’est pour s’accrocher, explique-t-il. Avec la pharmacie et les sapeurs-pompiers, ça fait 22 ans que la moitié de mes nuits est dédiée à la population. Ça fait 15 jours par mois entre les gardes de pharmacie et de sapeurs-pompiers. Là, j’ai pris un peu de recul. J’ai estimé que c’était un peu fort, d’autant que j’ai plaidé coupable. Il a fallu que l’avocat m’explique trois fois pourquoi j’étais coupable. J’ai eu du mal à saisir le fait qu’on me reproche (des choses) sur cette loi anti-cadeaux, parce que pour moi ce n’étaient pas de cadeaux, je les avais payés. C’est la pharmacie qui les avait payés. La faute majeure, c’est de ne pas les déclarer. Ça s’arrête là. Je n’ai pas fraudé la sécu, ni mes patients."
"J’ai toujours fait de la prévention, de la prise en charge, et mon travail de pharmacien très à cœur, poursuit Marc Alandry. Comme moi, beaucoup ont été échaudés d’en parler, et d’ailleurs je suis assez ému. Je suis coupable, j’assume, de ne pas connaitre la loi et de ne pas avoir été assez vigilant. Par contre, je ne suis pas du tout dans des goûts de luxe. Les trois-quarts des produits que j’ai pris étaient destinés à ma pharmacie. Un frigo pour mes employés, pour mes vaccins. Des choses qui coûtent fort cher."
Agnès Firmin-Le Bodo, ministre de la Santé par intérim depuis le départ d’Aurélien Rousseau, est sous le coup d’une enquête pour avoir aussi accepté des cadeaux d’Urgo. Elle a été entendue ce mardi par des enquêteurs de la police judiciaire et de la DGCCRF.