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La crise sanitaire va-t-elle accroître la fracture sociale en France ?

Télétravail contre présence sans protection sur le terrain, quarantaine en résidence secondaire contre confinement en quartier populaire, la crise sanitaire pourrait accentuer les fractures qui composent la société française.

Le confinement pour lutter contre l’épidémie de covid-19 pourrait-il permettre de réunir la population française dans son ensemble face à un "ennemi commun", selon les termes du Président de la République ? Rien n’est moins sûr. Car tandis que de nombreux habitants souvent aisés des grandes villes s’installaient dans leur maison secondaire parfois au mépris du bon sens sanitaire, la police dressait 10% du nombre totale d’amende pour non-respect du confinement, rien qu'en Seine-Saint-Denis, l’un des départements les plus pauvres de France.

"Cette épreuve s’impose à tout le monde quelque soit le statut social ou le lieu de résidence. On peut penser que cette épreuve est un événement qui pourrait ressouder les liens alors qu’Emmanuel Macron évoque 'une guerre' et 'un ennemi'", estime ce lundi sur RMC Jérôme Fourquet directeur du département opinion et stratégie de l’Ifop et auteur de "L’archipel français", ouvrage qui décrypte les fractures françaises.

"Premières lignes"

"Cependant, on voit comme souvent dans les périodes de crises, des comportements qui s’apparentent à des attitudes individualistes et égoïstes et tout le monde ne va pas vivre le confinement de la même manière", explique-t-il.

Le confinement révélerait donc de nouvelles factures, alors que la plupart des cadres peuvent télétravailler tandis que d’autres comme les hôtes de caisses ou les chauffeurs routiers, continuent de se rendre physiquement sur leur lieu de travail. Une nouvelle fracture entre "les premières lignes et ceux qui peuvent être un peu protégés en restant à l’arrière", assure Jérôme Fourquet, évoquant notamment des membres de l’encadrement effectuant des conférences téléphoniques depuis chez eux avec leurs équipes, présentes-elles sur le terrain.

"Si on prend uniquement le monde du travail vous avez un tiers des actifs qui continuent d’aller travailler souvent la boule au ventre, un tiers qui sont confinés au chômage partiel et un tiers qui sont des télétravailleurs. Si l’épidémie permet de retisser des liens, elle ravive aussi un certain nombre de fractures", ajoute Jérôme Fourquet.

Le maintien des municipales point d'orgue de la fracture entre population et monde politique ?

Une situation qui pourrait créer a posteriori de la rancœur en fonction de la façon dont sera gérée la sortie de crise : "Cette crise nous montre l’importance de ces salariés des premières lignes assez peu considérés comme les éboueurs et d’autres métiers de ce type, dont on voit que sans l’abnégation de leurs membres, la société éprouverait de grave difficulté. A la sortie, il y aura sans doute des gestes financiers à faire pour montrer la gratitude et la reconnaissance à l’égard de ceux qui ne se sont pas défilés et ont tenu leur position dans le danger".

Pour autant, Jérôme Fourquet se méfie des discours évoquant un changement profond de société : "On se souvient des discours au lendemain de la crise financière et économique de 2008 et des policiers acclamés au lendemain du bataclan. Ensuite on voit une forme d'inertie dans les sociétés et la psychologie collective et individuelle. Si l’on se jure sur le moment que les choses changeront on constate souvent que la nature reprend ses droits et qu'il est difficile de changer de direction", craint-il.

Enfin, le maintien du premier tour des élections municipales le 16 mars dernier, pourrait renforcer une fracture déjà connue: "On le voit dans nos enquêtes, c’est un reproche des Français aux politique qui va durer. Pour le moment il est adressé uniquement à Emmanuel Macron". Mais alors que l’ensemble de la classe politique était pour ce maintien, cette décision pourrait à terme "continuer à accroître la fracture entre une partie de la population et les élites politiques, vues comme éloignées des réalités", conclu Jérôme Fourquet.

Guillaume Dussourt