Le tiers payant remis en cause? "C'est une mesure dogmatique qui fait croire que la santé ne coûte rien"

- - AFP
Luc Duquesnel est médecin généraliste et président du syndicat de médecins Les Généralistes – CSMF.
"Pour nous, c'est vraiment un changement radical avec la politique du gouvernement précédent. Marisol Touraine, ministre de la Santé de François Hollande, voulait nous imposer un tiers payant généralisé obligatoire tout en sachant que cela allait entraîner une énorme surcharge de travail administratif pour les médecins libéraux. Il ne s'agissait que d'une mesure dogmatique qui laissait penser que la santé ne coûte rien, tout ça au détriment des médecins. Dans le cadre de nos consultations, nous allions passer plus de temps à des tâches administratives et moins de temps à écouter et examiner nos patients.
Edouard Philippe dit que son gouvernement veut évaluer la simplicité du dispositif. On peut déjà anticiper le résultat: l'évaluation va montrer que la généralisation du tiers payant est d'une extrême complexité pour les médecins libéraux. Imaginez, il y a plusieurs centaines d'assurances complémentaires et il nous faudra s'enregistrer auprès de chacune d'entre elles pour pouvoir appliquer le tiers payant.
"Une extrême complexité pour le médecin"
Les patients les plus pauvres, sous CMU, sont, de fait, dispensés du paiement de la consultation. Pour les autres, j'ai beaucoup de patients qui ne voient aucun problème à payer 25 euros pour leur consultation. Quand ils voient un ostéopathe, c'est 60-70 euros et cela ne leur pose pas de problème. Il y a aussi tous ceux qui me paient par chèque: ils sont remboursés avant même que je dépose leur chèque à la fin du mois. La généralisation du tiers payant, c'est une mesure dogmatique.
Une des solutions avancées par la CMSF, c'est la carte bancaire à débit différé. Un patient me paie 25 euros avec sa CB, il sera remboursé dans les 5 jours par sa caisse et ne sera débité qu'à la fin du mois. Finalement, il n'a pas d'avance d'argent à faire mais 'paie' quand même le médecin, il connaît donc le coût de la santé et c'est d'une extrême facilité en terme de tâche administrative pour le médecin.
"La santé a un coût"
Ce qui est intéressant aussi dans les propos du Premier ministre, c'est quand il se dit dubitatif face aux mécanismes qui laissent penser que quand on ne paie pas, c'est gratuit. Or, la santé a un coût, et la mauvaise utilisation du système de santé coûte très cher. On le voit dans l'utilisation des services d'urgences par un certain nombre de Français. Ils préfèrent aller se faire soigner aux urgences parce qu'on ne paie pas, plutôt que d'aller voir leur médecin traitant. Or, se faire soigner aux urgences coûte 270 euros à la société, alors qu'aller voir son médecin traitant, c'est 25 euros. L'analyse d'Edouard Philippe rejoint la nôtre.
Le gouvernement, dont l'attitude est très sage, recrée du lien avec les médecins libéraux alors que nous étions dans une situation de blocage avec Marisol Touraine. Nous allons attendre les conclusions de cette évaluation, mais c'est un changement radical par rapport à ce qu'a fait la précédente ministre de la Santé."