Pourquoi c'est si difficile de réduire l'usage des pesticides: "les lobbys sont tellement puissants"

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Les ventes de pesticides aux agriculteurs ont baissé de 2,7% en France entre 2014 et 2015. C'est la première fois que ce chiffre est en baisse depuis le lancement d'un plan gouvernemental en 2008 pour réduire leur utilisation. Un recul timide, encore loin d'inverser les tendances de fond. Les ventes de produits phytosanitaires agricoles avaient progressé de 9,4% entre 2013 et 2014, et de 4% entre 2012 et 2013. S'il s'agit d'une "bonne nouvelle", comme la qualifie ce mardi dans Bourdin Direct Benoît Hartmann, porte-parole de l'association écologiste France Nature Environnement, cette baisse des ventes pourrait être moins lié au comportement plus vertueux des agriculteurs qu'à une baisse de la production.
"Peut-être que la baisse de cette année est dû à une perte de production: on aurait produit moins donc on aurait utilisé moins de pesticides", souligne Benoît Hartmann, qui rappelle que "90% des rivières françaises sont polluées avec des conséquences pour notre santé". "Il ne faut pas penser qu'aux poissons qui changent de sexe, il faut penser aussi aux maladies qui touchent les humains: maladies neuro-dégénératives, maladies de la reproduction... Des maladies extrêmement graves qui nous touchent tous et surtout les agriculteurs qui utilisent les produits phytosanitaires".
"Les lobbys sont tellement puissants"
Reste que le chemin est encore long pour atteindre l'objectif de réduire de 50% l'usage des pesticides en 2025. "Les agriculteurs sont d'accord, mais en décembre dernier, le décret qui devait les y aider a été annulé par les vendeurs de pesticides, rappelle le porte-parole de France Nature Environnement. En France, les vendeurs de pesticides sont aussi ceux qui conseillent les agriculteurs. Comme si votre pharmacien était celui qui vous prescrivait des médicaments. Du coup, ils ont tendance à sur-prescrire parce qu'ils veulent en vendre beaucoup". "Il y a du chantage à l'emploi qui fonctionne mieux que la pression des citoyens qui disent qu'ils ne veulent plus être malades de ce qu'on mange", regrette Benoît Hartmann.
"Les lobbys de vendeurs de pesticides en France sont tellement puissants qu'ils n'aident pas les agriculteurs à changer, alors même qu'on sait qu'en diminuant de 30% les pesticides, les agriculteurs ne perdent pas de rendements. Et on gagne mieux sa vie en faisant du bio qu'en faisant du toxique".
Un agriculteur: "ça prend du temps de changer nos habitudes"
Benoît Hartmann a été interpellé dans Bourdin Direct par Stéphane, un agriculteur conventionnel du Calvados. "On ne change pas nos habitudes du jour au lendemain, rappelle-t-il. Mais rassurez-vous, on est en train de baisser notre utilisation (de pesticides), le discours change. Nous ne sommes pas des imbéciles et nous sommes capables de nous remettre en cause". Cet agriculteur demande "un peu de temps", pour changer ses habitudes, et "un accompagnement financier". "Ça met beaucoup de temps de changer ses pratiques, et c'est beaucoup plus pointu", conclut-il.