"Expliquez-nous": pourquoi les grandes grèves de 1995 sont-elles évoquées en prévision du 5 décembre?

1995: c’est une victoire et des grévistes qui obligent le gouvernement à reculer en rase campagne et à retirer une réforme de la Sécu et des retraites. Un rêve pour les syndicalistes. Un cauchemar pour les gouvernants.
En novembre 1995, Alain Juppé, Premier ministre veut redresser les comptes publics. Il vient déjà d'augmenter la TVA de deux points, ce qui est un énorme coup de massue. Mais il veut aussi qu’un fonctionnaire puisse prendre sa retraite après 40 ans de service au lieu de 37 ans et demi.
Il veut augmenter les cotisations maladie pour les chômeurs et les retraités. Il veut que les allocations familiales soient imposables. Et son plan propose d’autres potions amères comme le déremboursement de certains médicaments ou l'augmentation des frais d’hospitalisation.
Tout cela est déjà assez indigeste, et les syndicats réagissent mal… Mais Alain Juppé va, à la dernière minute, rajouter une mesure inattendue qui va mettre le feu aux poudres.
La réforme des régimes spéciaux de retraite, annoncée le 15 novembre 2005
Une telle annonce, sans avoir prévenu personne et surtout pas les syndicats… Alain Juppé a ajouté cette annonce le matin même à son discours du 15 novembre devant l’Assemblée nationale.
Il veut réformer les 42 régimes spéciaux qui permettent notamment aux conducteurs de la SNCF et de la RATP de partir à la retraite à 52 ans. Les syndicats découvrent l’annonce en regardant la télévision. Ils sont furieux.
Un préavis est déposé et la grève à la SNCF commence le 24 octobre. Le même jour, premières manifestations dans toute la France. Elles sont massives. Le 25, puis le 26 octobre la grève est reconduite à la SNCF. Zéro train sur les grandes lignes, zéro sur les réseaux régionaux, zéro en banlieue.
Le 28 novembre, nouvelle manifestation avec pour la première fois côte à côte les deux syndicats ennemis: Marc Blondel de Force Ouvrière et Louis Viannet pour la CGT se serrent la main, ce qui n’était jamais arrivé. Ce même jour, la grève commence à la RATP, puis chez EDF-GDF, puis à l’Education nationale et finalement, dans toute la fonction publique.
La France, paralysée pendant 3 semaines
Aucun train, aucun métro, quasiment aucun bus. L’économie est à l'arrêt. Pour aller travailler, les gens marchent, font du stop, s'achètent des vélos et des patins à roulette. Les trottinettes électriques n’existent pas. Vélib et BlaBlaCar non plus.
Mais même sans appli, les gens s’organisent, se montrent extraordinairement solidaires. Il suffit de lever le pouce pour être pris en stop. Sauf que les voitures n’avancent pas. On comptera jusqu’à 600 kilomètres de bouchons en région parisienne. Record qui n’a jamais été battu.
Malgré tout, les grévistes restent populaires
Les sondages indiquent que deux français sur trois soutiennent la grève des fonctionnaires. On a parlé d’une grève par procuration. Les salariés du privé ne rejoignent pas le mouvement mais ils le comprennent.
Alain Juppé apparaît particulièrement sourd à la contestation. Le 29 novembre au journal de 20 heures, il dit être “droit dans ses bottes”. Et son gouvernement accumule les erreurs. En pleine crise, la ministre des Transports, Anne-Marie Idrac annonce une réforme de la SNCF avec 73.000 suppressions de postes.
Et comme si cela ne suffisait pas, le ministre des Télécommunications, François Fillon, annonce une privatisation partielle de France Télécom. Si on avait voulu mettre de l’huile sur le feu, on n’aurait pas fait autrement.
Surtout qu’il ne faut pas oublier que Jacques Chirac avait été élu six mois plus tôt sur le thème de la fracture sociale. Il promettait une politique sociale, et à la place on a eu Juppé, droit dans ses bottes. Une partie des Français se sentait trompée, voir cocue. D’où la mobilisation qui n’a pas faibli pendant trois semaines.
Finalement, le gouvernement a reculé
Le 10 décembre, Alain Juppé écrit aux syndicats de la SNCF qu’il n’est pas question de revenir sur la retraite à 52 ans pour les personnels roulant. Mais la grève est reconduite. Le 11 décembre, des garantis sont données à tous les employés de la SNCF et de la RATP. Mais la grève est reconduite.
Le 12 décembre, 2 millions de personnes manifestent dans toute la France. Le 15 décembre, le gouvernement renonce à réformer tous les régimes spéciaux et renonce à la réforme des retraites des fonctionnaires. Cette fois, la grève va s'essouffler et les trains vont recommencer à circuler avant les vacances de Noël.
Le gouvernement passera par ordonnance ce qui reste de sa réforme. C’est à dire, pas grand-chose. C’était la plus grande grève en France depuis Mai 68. Et il n’y en a pas eu d’aussi importante depuis.