"Vos vacances, ma misère”: face au surtourisme, les habitants d’Europe du Sud descendent dans la rue

Le "surtourisme", un mot désormais bien réel. Entré dans le dictionnaire Le Robert en 2023, le terme surtourisme désigne une "présence touristique perçue comme excessive et nuisible". Ce week-end du 14 juin, la notion s’est incarnée dans les rues de plusieurs villes du sud de l’Europe. En Espagne, en Italie ou encore au Portugal, les habitants ont manifesté pour dire leur exaspération face à la pression touristique grandissante.
À Barcelone, des pistolets à eau à la main, les manifestants scandaient: “Le tourisme de masse tue la ville”, “Vos vacances, ma misère” ou encore “La ville aux habitants, pas aux visiteurs”. Une colère qui monte dans des centres-villes vidés de leurs résidents, chassés par la flambée des loyers et la prolifération des locations touristiques.
Une économie touristique qui ne profite pas à tous
Le tourisme, souvent considéré comme un moteur économique, ne fait pas que des heureux. “Même les professionnels du secteur n’en peuvent plus”, confie un hôtelier mobilisé à Barcelone. En cause: la transformation de l’immobilier, accaparé par les locations de courte durée, l’éviction des commerces de proximité remplacés par des boutiques de souvenirs, et une vie urbaine défigurée.
La situation devient un véritable sujet de tension sociale et politique. Dans certaines zones, les habitants ne trouvent plus à se loger. Et lorsqu’ils y parviennent, les prix sont devenus insoutenables.
Des réponses locales… et inégales
Face à ce phénomène, des villes commencent à s’organiser. En France, plusieurs initiatives voient le jour. Marseille expérimente des quotas d’accès sur certaines criques. En Corse, l’accès à certaines plages pourrait bientôt être restreint. En Bretagne, l’île de Bréhat limite le nombre de visiteurs chaque jour.
Paris, de son côté, a signé une charte avec Airbnb: déclaration automatique des logements, location limitée à 90 jours par an, collecte de la taxe de séjour… Un outil également utilisé en Norvège, où une taxe de 3% s’applique dans les zones les plus fréquentées, pour financer des infrastructures de base, comme des parkings ou des sanitaires, parfois débordées par l’afflux touristique.
Venise, symbole d’une ville à bout de souffle
C’est sans doute à Venise que la situation est la plus emblématique. Depuis avril, les visiteurs doivent s’acquitter d’un droit d’entrée de 5 euros les jours de forte affluence. Une mesure inédite à l’échelle européenne, mais qui n’a pour l’instant que peu réduit la fréquentation.
Les habitants, eux, redoutent de voir leur ville se transformer en décor figé. Et l’actualité renforce cette crainte: la semaine prochaine, le milliardaire Jeff Bezos y célèbre son mariage lors de trois jours de festivités ultra-privées. Hôtels de luxe privatisés, flotte de bateaux-taxis mobilisée… Des collectifs locaux dénoncent la "privatisation" de leur ville. “No space for Bezos”, clament-ils.
En Croatie, le surtourisme prend une autre tournure: la demande est telle que certaines plages doivent être rechargées chaque année… au bulldozer. Le sable naturel a disparu, remplacé par du gravier finement concassé pour en imiter l’apparence. Une pratique aux conséquences environnementales préoccupantes, mais que justifient les recettes touristiques colossales: en 2024, la Croatie a généré 15 milliards d’euros grâce au tourisme.
Une tendance qui ne faiblit pas
Malgré les alertes, la croissance du tourisme mondial se poursuit. D’après les prévisions, les dépenses liées aux voyages internationaux devraient atteindre 838 milliards de dollars en 2025, en hausse de 11%.
Mais à quel prix? Bruit, déchets, incendies, raréfaction de l’eau, destruction des écosystèmes… Le revers de la carte postale est de plus en plus visible. Et au cœur des manifestations de ce week-end, une phrase résume le sentiment général: "Nous vivons dans une ville qui ne nous appartient plus."