Hystériques, moches, retourne dans ta cuisine: sur Youtube on sait le sort qui est réservé aux femmes

Dans le top 100 de YouTube, seulement 13 personnes sont des femmes. - Robyn Beck / AFP
Marie Camier, présidente de l'association Les Internettes.
"La gente féminine hésite à se lancer sur Youtube parce qu’elle sait le sort qui y est réservé aux femmes. Par exemple, mercredi, une youtubeuse a publié une vidéo sur le pet vaginal. Dans les commentaires, un mec lui a demandé ’t’es vierge?’. Et encore, c’est une question très mignonne comparé à ce que les jeunes femmes vivent au quotidien.
En ce qui nous concerne, nous avons eu à plusieurs reprises le droit à des remarques telles que ‘vous êtes super moches’, ‘vous ressemblez à des hommes’, ‘vous êtes des grosses p..., des hystériques de féministes’, ‘retournez dans votre cuisine faire des sandwichs’. Il y a beaucoup de commentaires sur le physique. Ou sur la façon dont on s’habille, dont on parle.
C’est notamment pour cette raison que la plupart d’entre elles se lancent dans la vidéo en ne montrant pas leur visage. Elles exposent seulement leur voix en fond sonore et placent des images animées en visuel. Elles évitent ainsi les jugements. D’autres filles sont dégoûtées par la création. Elles réalisent un tas de vidéos mais ne récoltent même pas 1000 abonnés. Ça les découragent parce qu'elles y consacrent du temps pour rien. Elles ne trouvent pas leur public et laissent tomber. Mais ce n’est pas le seul frein.
"Pour les mecs, les vidéos de femmes, c’est pour les nanas"
Il y a peu de diversité dans nos abonnements aux chaînes YouTube. On a constaté que l’on suivait surtout des hommes. Et il y a une explication à cela. YouTube a un algorithme qui sollicite un système de recommandations. Quand on regarde une vidéo de Cyprien, il va nous suggérer de basculer sur une vidéo de Norman. Parce que c’est un contenu approchant. On s’enferme dans une zone de confort informationnelle qui fait que l'on regarde tout le temps les mêmes choses.
Les femmes regardent des vidéos de femmes et d’hommes mais les hommes ne s’intéressent… qu’aux hommes. La plupart part du principe qu’elles sont réservées aux nanas. Le public se rabat alors plus sur les garçons. Conséquences: les femmes récoltent moins de vues et sont moins mises en avant. Dans le top 100 sur Youtube, il y en a seulement 13. Et la plupart sont des youtubeuses beauté.
"On veut voir plus de noires, d'arabes, de personnes transgenres"
Elles vont se sentir plus légitimes à aborder la question de la beauté et de la mode alors qu’elles pourraient multiplier leur champ de traitement. Elles se cantonnent à des secteurs très genrés et passifs. Ce qui ne les met pas en valeur ni en position de pouvoir. Nous, on veut aussi voir plus de nanas noires, arabes, des personnes transgenres qui prennent la parole sur plein de choses.
Sur notre page Facebook, on partage chaque jour une vidéo de créatrice. Récemment, j’ai par exemple découvert une youtubeuse qui donne des conseils sur la musculation. J’ai trouvé ça trop fort. D’autres parlent de science, d’histoire, d’exploration urbaine, d’archéologie. Notre page est représentative de la diversité. La seule condition pour y être vue est d’adhérer à notre association pour un montant de 10 à 15 euros par an. Ce qui donne accès à toutes nos activités et surtout à notre large communauté.
"Tout le monde attendait que quelqu’un fasse quelque chose"
On a très vite eu une communauté qui s’est mobilisée autour de notre initiative. Tout le monde constatait ce problème d’inégalité et attendait que quelqu’un fasse quelque chose. Il faut donner des clés aux femmes pour qu’elles créent plus facilement de la vidéo et qu’elles exercent leur droit de liberté d’expression sur Internet.
On a monté plusieurs types de projets, comme des master class. Durant l’une d’entre elles, un créateur musical est venu donner des conseils aux femmes participantes. Pour qu’elles intègrent de la musique dans leurs vidéos et apprennent à gérer leur son. Beaucoup ont notamment une personnalité qu’elles n’arrivent pas à retranscrire à la caméra. Soit par manque de confiance en soi, soit parce qu’elles ne se sont jamais posées la question. Leurs éléments de décor et la couleur des vêtements qu’elles portent renvoient une certaine image aux spectateurs et elles ne le savent pas.
La création sur internet n’est pas un gâteau aux parts limitées mais aux parts infinies. Chacun peut se servir. La diversité sert à tout le monde et plus on entendra de voix différentes, mieux la société se portera."