Théories du complot sur Internet: "Il y a urgence à intervenir auprès des adolescents"

Un data center. - Jonathan Nackstrand - AFP
Les médias traditionnels nous mentent et obéissent à des groupes puissants qui cherchent à nous manipuler. Voilà en une phrase résumé l'état d'esprit de nombreux collégiens et lycéens qui se sont détournés des chaînes de télé, radios et journaux historiques pour une seule source d'information: Internet. Internet où ils peuvent trouver de nombreux sites complotistes, abondement partagés sur les réseaux sociaux, qui n'aiment rien tant que démonter les faits pour servir la soupe à des théories conspirationnistes, antisémites, anarchistes et/ou politiques…, et qui inoculent chez les adolescents la suspicion permanente.
C'est pour contrer ces théories du complot que le producteur Luc Hermann et le journaliste Paul Moreira, cofondateurs de l'agence de presse Premières Lignes, ont créé un "petit kit de discussion à destination des élèves dès la classe de 4e". Soit une vidéo (voir plus bas), lancée à l'occasion de la semaine de la presse et des médias dans l'école, que les professeurs du secondaire vont pouvoir diffuser dans leurs classes pour débattre avec eux de ces questions, face auxquelles ils sont parfois désemparés.
"Notre but: donner les clés aux jeunes"
"Ne comptez pas sur nous pour vous dire que les complots ça n'existent pas", explique en voix off Luc Hermann, au début de la vidéo. Le ton est donné. Puis le journaliste Paul Moreira revient sur l'attentat contre Charlie Hebdo, qui a donné lieu à de nombreux fantasmes et interprétations sur le net, et dont Premières lignes – qui sur le coup portait bien son nom – a été le témoin direct. Avant de rappeler que les lanceurs de théories du complot ont tendance à oublier une bonne partie des faits pour parvenir à leurs fins.
"Notre but, c'est de donner les clés aux jeunes pour qu'ils aillent au-delà d'une seule source, au-delà de deux ou trois sites internet, de chercher à voir qui écrit etc", explique pour RMC. Luc Hermann. Les enseignants de collèges et lycées sont vraiment demandeurs d'outils pour pouvoir en débattre avec leurs élèves, car ces théories font beaucoup de bruits sur Internet".
Selon le producteur, il y aurait même "urgence" tant les tentacules complotistes se déploient chez les ados.
"A partir du moment où c'est sur Internet, c'est vrai"
"Il y a chez les adolescents le sentiment qu'à partir du moment où c'est sur Internet, c'est vrai", acquiesce Fatima Aït Bounoua, prof de français dans un collège de Seine-St-Denis, et Grande gueule sur RMC. "Sur Internet, tout est mis sur le même plan et les élèves n'arrivent pas à faire la différence".
Cette prégnance de la théorie du complot, Fatima Aït Bounoua l'a vu se développer "il y a cinq ans".
"Au début, les élèves se focalisaient sur les illuminati (théorie selon laquelle le monde serait dirigé par et pour des sociétés secrètes, les Francs-maçons, la CIA, les sionistes ou les communistes…, NDR), et maintenant ce sont les Francs-maçons", développe Fatima Aït Bounoua.
"Les attentats, ils en parlent moins, même si après les attentats contre Charlie Hebdo, ils se posaient nombre de questions, notamment sur 'pourquoi il n'y a pas de sang' qui coule (lorsqu'un des frères Kouachi abat un des policiers)". De quoi accréditer l'idée d'une vaste conspiration des services secrets occidentaux, théorie largement diffusé sur Internet après l'attentat.
"Une info de qualité ça coûte cher et ça prend du temps".
"La seule façon de lutter contre ça, c'est de dire la vérité, de parler des vrais complots et de démonter les faits", explique l'enseignante. "Il faut leur apprendre les médias, à lire entre les lignes et à développer leur esprit critique. Ils seront alors moins faibles face à ces vidéos qui sont très angoissantes pour eux, alors qu'ils sont à un âge où ils sont très vulnérables".
"Nous journalistes, avons une grosse responsabilité pour regagner la confiance de ceux – et pas uniquement les jeunes –, qui nourrissent une défiance à l'égard des grands médias", avoue Luc Hermann.
Mais celui qui produit l'émission Cash Investigation, présentée par Élise Lucet et diffusée sur France Télévisions, le sait : "Une information de qualité ça coûte cher et ça prend du temps". "Cash investigation c'est un an de travail", rappelle-t-il. Alors pour regagner la confiance des citoyens, il livre des pistes : "On ne doit pas hésiter à dire : 'là-dessus on n'a pas eu le temps d'enquêter mais on va poursuivre l'enquête' ; ne pas hésiter à donner un peu les coulisses de l'information ; montrer comment il est quelque fois difficile de trouver une info ou d'obtenir une interview et comment on se retrouve alors sous l'influence des communicants".
Premières lignes ne va pas en tout cas s'arrêter à une seule vidéo, puisque la société de production va en réaliser plusieurs qui seront téléchargeables à loisir sur leur site.