"Expliquez-nous": faut-il rouvrir le débat sur les statistiques ethniques ?

La porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye, souhaite relancer le débat. Pour elle, on ne peut pas lutter contre les discriminations si on ne les mesure pas.
Dans une tribune publiée dans Le Monde, la porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye a proposé de relancer le débat autour des statistiques ethniques de manière apaisée.
Ceux qui s'y opposent affirment notamment que la France serait vue, non plus comme un pays uni, mais comme une succession de communautés, de gens de couleur et de religions différentes. D'autres, en revanche, disent qu'on devrait le faire. Alors, a-t-on besoin de ces statistiques pour lutter contre la discrimination et le racisme ou doit-on agir différemment?
C’est un vieux débat français régulièrement relancé. Prenons une question d’actualité. Les Noirs sont-ils plus exposés au coronavirus que les Blancs? Aux Etats-Unis, oui, de façon spectaculaire. Jusqu'à 70% des malades là où ils ne représentent que 13% de la population.
En Grande-Bretagne aussi. Parmi les membres des personnels soignants touché par le Covid, 60% sont Noirs. Et en France? Et bien, on ne sait pas. On fait des fiches sur les malades, en fonction de leur âge, de leur sexe, on leur demande s’ils ont du diabète, s’ils sont fumeurs ou non-fumeurs, mais on n’a pas le droit de noter la couleur de leur peau. C’est interdit par la loi, sous peine d’une amende de 300.000 euros et de 5 ans de prison.
Cette interdiction date de l’arrivée en France des ordinateurs. Auparavant, on a fiché les Juifs sous Vichy. On a fiché les Arabes pendant la guerre d’Algérie et on pouvait ficher qui on voulait ou presque.
Mais avec l'avènement de l’informatique, sous Giscard, on a réalisé que ces fichages ou même ces statistiques pouvaient devenir dangereux entre de mauvaises mains. D'où la loi du 6 janvier 1978, célèbre loi “informatique et liberté” qui interdit de collecter ou de traiter des données sur les origines raciales et ethniques, mais aussi sur les opinions politiques, syndicales ou religieuses, mais aussi toute questions relative à la vie sexuelle. Cela fait donc un peu plus de 40 ans que ces statistiques sont interdites.
Mais il y a des exceptions lors des recensements notamment: on demande aux Français leur nationalité antérieure, s’ils n’ont pas toujours été Français. L’Insee et l’Ined, deux grands organismes d’état d’observations de la population française, peuvent demander la nationalité des parents pour certaines de leurs études. Et puis, ces deux même instituts peuvent aller plus loin, mais sous un strict contrôle scientifique.
Quantifier les inégalités pour mieux les combattre
En 2008-2009 par exemple, ils avaient lancé une grande étude intitulée “trajectoires et origines”. Et on avait alors demandé aux gens la couleur de leur peau et leur ressenti d’appartenance. Est-ce qu’ils se sentaient blancs, noirs ou métisses, ou autres. Et cette étude a permis de bien mieux connaître la question des discriminations et des inégalités raciales en France. Les chercheurs, les universitaires sont aussi autorisés à faire ce type d'études sous contrôle. C’est comme ça que des chercheurs avaient surveiller de loin des policiers à la Gare du Nord à Paris et constater que les Noirs et les Arabes étaient beaucoup plus contrôlés que les Blancs.
Ce débat sur les statistiques ethniques est régulièrement relancé. En 2009, sous Nicolas Sarkozy, Brice Hortefeux avait fait voter une loi pour autoriser ces statistiques. L’idée, c’était ensuite de s’en servir pour faire de la discrimination positive. Par exemple des quotas dans les facs, comme aux Etats-unis. C’est une mesure défendue par “Sarko l’Américain”. Mais le Conseil constitutionnel avait invalidé la loi Hortefeux. Parce que l’article premier de la Constitution affirme que "les citoyens sont égaux devant la loi sans distinction de race ou de religion".
Lors de la dernière présidentielle, François Fillon avait indiqué que s’il était élu, il légaliserait ces statistiques, que ce n'était pas tabou. Mais Hervé Mariton, un ses adversaires à la primaire de la droite avait, lui, expliqué qu’il était contre. Il disait que son père était de la Drôme, alors que sa mère était Juive pied-noir. “Et moi, je coche quelle case?”, avait demandé le député. "Juif Berberisé, Berbère judaïsé ou bien Dauphinois?".
Auparavant, François Hollande avait estimé que c'était un débat parfaitement inutile comme seuls les Français en ont le secret.
Alors pourquoi, Sibeth Ndiaye, relance-t-elle le débat aujourd’hui? Parce que l’on parle beaucoup de racisme en ce moment et que c’est l’occasion de faire des propositions. Elle pense qu’il faut quantifier les inégalités pour mieux les combattre. Qu’il faut mieux savoir que de laisser prospérer les fantasmes. Elle est assez peu soutenue.
Le CRAN, l’association de défense des noirs est favorable aux statistiques ethniques. Mais SOS Racisme est contre. Marine Le Pen aussi. La Commission consultative des droits de l’Homme, contre également. Avec cet argument: l’Etat ne doit pas reconnaître de catégories ethniques. La culture française, c’est l'universalisme, pas le communautarisme.
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