Doliprane: pourquoi la vente à un fonds américain vire à la polémique

Que cache la vente de Doliprane à un fonds américain? C’est l’un des premiers dossiers brûlants du gouvernement. Le rachat par un fonds américain d’une partie de l’activité médicaments du géant Sanofi, avec une polémique autour du cachet de Doliprane et ce sentiment que la France abandonne un peu de son indépendance. "Dur à avaler" titre Libération, avec une photo de cachet 1.000 mg en gros plan. Et la question n’est pas tant "que peut faire le gouvernement?" mais "que veut-il faire?".
D’abord, un petit rappel des protagonistes. D’un côté, on a le géant pharmaceutique français Sanofi et sa filiale Opella qui commercialise le Doliprane, mais aussi la Lysopaïne ou encore le Maalox. Une centaine de médicaments sans ordonnance qui sont dans votre armoire à pharmacie. De l’autre côté, Clayton Dubilier And Rice (CD&R), fonds américain qui a emporté les enchères pour prendre le contrôle d’Opella. Au milieu, le gouvernement qui arbitre une cession à plus de 15 milliards d’euros.
Et c’est un vrai débat: faut-il se réjouir d’un tel investissement industriel étranger en France? Ou s’inquiéter d’une perte de souveraineté dans la santé? Opella, dont le siège se situe en France, ce sont 11.000 salariés, 13 sites de production, un rayonnement dans près de 150 pays…
En pleine pandémie de Covid, Emmanuel Macron insistait sur la souveraineté française dans le domaine de la santé. Est-ce fini? Ça dépend… Et il va falloir faire attention aux postures. Avec deux ministres en déplacement ce lundi sur un site Sanofi de Normandie, en opération déminage.
Le gouvernement pose ses conditions
Dès l’annonce de la vente, les oppositions se sont mobilisées. On entend parler de "souveraineté sanitaire", de craintes de pénuries au niveau mondial. Dans La Tribune Dimanche ce week-end, l’ensemble des députés PS signait un appel à bloquer la vente. En face, le gouvernement soutient cette cession mais énonce ses conditions. D’abord, que le siège reste français. Les décisions devront être prises en France. Les usines devront être pérennisées, l’emploi préservé. Ensuite, l’exécutif veut des garanties quant à l’approvisionnement en médicaments. Particulièrement le Doliprane, pour lequel une usine est encore en construction en Isère.
Peut-on croire que les repreneurs américains respecteront ces conditions? Le gouvernement peut bloquer la vente. Et ce, en vertu de la "procédure de contrôle des investissements étrangers", qu’on appelle aussi loi ou décret Montebourg. Un ministre peut intervenir selon quelques critères… Si l’acheteur est étranger, et c’est le cas. Mais aussi s’il s’agit d’une activité sensible. La santé en l’occurrence, c’est donc le cas. Le ministre de l’Economie a annoncé que la procédure sera enclenchée.
Est-ce si grave de vendre Doliprane aux Américains? "Le sujet, ce n’est pas la couleur du pavillon, mais l’emplacement du pavillon, l’empreinte industrielle et les emplois", a expliqué à RMC Roland Lescure, l’ancien ministre de l’Industrie, qui appelle à "rester vigilants sans caricaturer".
Des précédents qui ont mal tourné
Le problème, c’est qu’il y a des précédents… En 2014, les activités énergétiques d'Alstom avaient été vendues à General Electric. Les Américains s’étaient engagés à créer des milliers d’emplois. Bilan: une petite trentaine d’emplois. General Electric avait dû verser 50 millions d’euros à un "fonds de réindustrialisation". Une broutille.
Et il y a d’autres exemples. Pechiney, en 2004, qui a fini par être démantelé. Arcelor en 2006, avant la fermeture du site de Gandrange en 2009. Alcatel-Lucent en 2015, deux ans avant des suppressions de postes par centaines. Les promesses n’engagent que ceux qui les croient.