"Liberté de l'employeur": ces entreprises qui contrôlent les arrêts maladie via des sociétés privées

"La fraude sociale est une trahison [...] Nous étudions la proposition de la Caisse nationale d’assurance maladie d’instaurer une pénalité pour ceux qui détournent le système et le fragilisent", mettait en garde début août la ministre de la Santé Catherine Vautrin, interrogée par Le Parisien.
Dans le viseur du gouvernement: les arrêts de travail "prescrits de manière abusive". Pour rappel, l’Assurance Maladie a détecté et stoppé 42 millions d’euros de fraudes liées aux arrêts de travail en 2024, soit 2,4 fois plus qu’en 2023. Ils ont toutefois coûté 30 millions d'euros l'année dernière contre 8 en 2023.
Médecin indépendant
Si la Sécurité sociale exerce une grande majorité des contrôles - 680.000 actions menées en 2024 pour 230.000 avec examen médical dont 33% d'entre eux ont été suspendus - certaines entreprises considèrent qu'ils ne sont pas assez nombreux et décident d'avoir recours à des sociétés privées. À noter que les entreprises ne peuvent le faire que si elles versent l'indemnité complémentaire aux indemnités journalières de la Sécurité sociale (IJSS).
"On a fait intervenir une entreprise qui regroupe des médecins habilités à aller rendre visite aux salariés, pour voir s’ils sont bien à leur domicile", explique auprès de RMC Arnaud, chef d'entreprise. "Ce médecin doit être indépendant et ne pas avoir de lien privé avec votre employeur pour garantir son impartialité", peut-on lire sur le site service-public.fr
Arnaud l'assure: ce contrôle a pu lui faire découvrir qu'un de ses salariés était en réalité à l'étranger. Le contrôle lui a coûté 200 euros : à ce prix, le médecin envoie un compte-rendu, transmis ensuite à l’employeur qui l’adresse à la Sécurité sociale. Et l'organisme est le seul à pouvoir convoquer l'assuré.
"On voit leur story avec le champagne le jeudi soir"
Laurent, chef d’entreprise, évoque des arrêts de travail abusifs lorsque le travail effectué par le salarié ne lui plaît plus. "Ils font suite à un ras-le-bol du travail et à une pression forte, difficile à supporter. Si le salarié ne veut plus continuer dans l’entreprise, il se met en arrêt. Ça nous a menés à la rupture conventionnelle", explique-t-il. Cela permet alors au salarié de ne pas démissionner, ce qui l'auraît empeché de bénéficier de l'allocation chômage d'aide au retour à l'emploi (ARE). Des études démontrent que les troubles psychologiques, comme le burn-out, sont désormais la deuxième cause des arrêts maladie.
"Il y a forcément de vrais arrêts. Mais au-delà de ça, on sent vraiment le manque de respect. Plusieurs fois, mes salariés sortent le jeudi soir, on voit leur story avec la bouteille de champagne et puis le lendemain, ils plantent les collègues en disant, j’ai mal à la tête, je rentre chez moi”, témoigne Julien, chef d’entreprise.
"On reçoit quelques milliers de signalements venant de médecins contrôleurs sollicités par les entreprises", détaille le directeur de la Caissance nationale d'assurance maladie
Ces contrôles privés "restent un phénomène limité", répond auprès de RMC Thomas Fâtome, directeur général de la Caisse nationale de l'Assurance maladie. "Une plateforme d’appel est dédiée aux employeurs. Nous restons à l’écoute des employeurs qui nous saisissent sur ces sujets, y compris administratifs et de gestion de dossiers. On peut toujours progresser", reconnaît-il par ailleurs. "Moi, je n’ai rien contre les contrôles de la Sécu, mais le problème, c’est qu’ils ne contrôlent pas assez", pointe de son côté un médecin interrogé par RMC.
"Ça ne me choque pas non plus"
"C’est massivement la Sécurité sociale qui exerce ces contrôles. C’est important que ça le reste. Après, je crois aussi que c’est la liberté de l’employeur : s’il souhaite que ce contrôle se déploie, il en a la responsabilité et la liberté. Ça ne me choque pas non plus", considère toutefois le patron de la Sécurité sociale. Il est utile de rappeller que la mutuelle peut également procéder à des vérifications, "y compris par voie d'enquête, en application du contrat qui vous lie à l'assureur".
Si les entreprises peuvent donc solliciter la Sécurité sociale, celle-ci est libre "d'engager" elle-même des contrôles. Ils vont notamment cibler les arrêts répétitifs, avec absence de soins et de pathologies chroniques. Les médecins sont aussi contrôlés, notamment ceux qui prescrivent deux à trois plus d'arrêt qu'un autre professionnel de santé (sur la base d'une même patientèle). Enfin, les entreprises elles aussi peuvent être ciblées, si elle présentent un profil d’absentéisme atypique, avec deux à trois fois plus d’arrêts que dans une entreprise du même secteur, liste Thomas Fâtome.
Management toxique
"Des centaines d'entreprises sont visitées chaque année [...] et certaines, malheureusement, ont des pratiques d’organisation ou de management qui génèrent beaucoup plus d’arrêts de travail que d’autres", regrette Thomas Fâtome. Yohan Saynac, vice-président du syndicat MG France (Fédération française des médecins généralistes), pointait justement, début août, ces ambiances de travail parfois qualifiées de toxiques.
"Il y a des entreprises ou des collectivités dans lesquelles on sait qu’il y a plus d’arrêts de travail que d’autres. Les conditions de travail y sont moins bonnes et il n’y a pas eu d’investissement dans le bien-être au travail", soulignait-t-il dans les colonnes de Libération, avant de proposer un "malus" pour celles qui ne "joueraient pas le jeu de la responsabilité sociétale".
"Impossible de tout contrôler"
"Notre responsabilité, c’est d’être réactifs aux sollicitations. S’il y a des situations individuelles où, le cas échéant, on n’a pas été assez réactifs, j’en prends acte. Mais améliorer le circuit d’information, c’est sans doute nécessaire, même si c’est déjà largement ouvert", développe Thomas Fâtome. L'intéressé précise que c’est bien la loi qui permet ces contrôles privés. Et de rappeler: "Chaque année, plus de 10 millions de personnes sont en arrêt de travail: il est donc impossible de tout contrôler."
Dans le cadre du budget 2026 - plus que jamais incertain en raison de la potentielle chute du gouvernement Bayrou à l'issue du vote de confiance le 8 septembre - l'exécutif prévoit une économie de 5,5 milliards d'euros dans les dépenses de santé.