Pourquoi le brainstorming, "cette pratique inefficace", plaît toujours autant aux entreprises

- - Flickr - CC - Kévin Dooley
Olivier Sibony est professeur de Stratégie à HEC, auteur de Réapprendre à décider (éd. Débats publics).
"Un brainstorming, ça sert à générer des idées. Mais quand on fait un test avec les mêmes personnes en leur demandant de réfléchir seules à des idées, on se rend compte qu'elles en génèrent plus. Ça paraît étonnant, puisqu'on a tous des expériences de brainstorming durant laquelle on a généré pleins d'idées. Mais ce qu'on ne sait pas, puisqu'on n'en a jamais fait l'expérience, c'est que si on demandait à chacun des participants de générer des idées chacun dans leur coin, on en générerait plus et de meilleure qualité.
Pourquoi? Pour une raison mécanique, déjà: si vous passez une heure à 10 dans une pièce, vous allez pouvoir exprimer des idées pendant six minutes en moyenne. Et pendant les 54 minutes restantes, vous allez écouter les idées des autres. Alors que si vous passez une heure, seul devant une feuille blanche, vous allez avoir tout ce temps seul pour écrire des idées! Une autre explication tient de l'effet de groupe: on peut avoir tendance à ne pas exprimer les idées les plus disruptives, les plus ambitieuses ou les plus dérangeantes pour les autres participants quand on est en réunion collective. Enfin, dernier problème: il peut y avoir une tendance chez certains participants à penser à autre chose – ce qu'ils vont cuisiner le soir – plutôt que d'être à fond dans la réunion.
"Être contre le brainstorming c'est politiquement incorrect"
Pourtant, le brainstorming a toujours autant de succès dans les entreprises. Depuis 60 ans, on continue de considérer cette pratique relativement inefficace comme un standard du management et comme quelque chose qu'on doit absolument pratiquer sous peine de ringardise et d'incompétence managériale. Être contre le brainstorming, c'est totalement politiquement incorrect.
Ce que ça révèle sur les pratiques de management est intéressant à plusieurs titres. D'abord, cela souligne notre tendance à se satisfaire de peu: quand quelque chose marche, on ne se pose pas la question de savoir si autre chose marcherait mieux. C'est ce que l'on appelle le satisfacting: plutôt que de cherche la solution optimale, on cherche une solution satisfaisante.
"Conformisme et habitudes"
Cela souligne ensuite cette croyance que l'on peut transplanter chez soi une pratique en vigueur dans un autre environnement et dans un autre contexte. Au départ, le brainstorming a été créé par une agence de pub dans les années 50 – 60 (BBDO), à la grande époque de Mad Men. Etre créatif, c'est le cœur de métier des agences de pub. Donc toutes les entreprises se sont dit que pour être elles aussi créatives, elles devaient copier ou singer les pratiques de ces agences. Mais ce qui fonctionne avec des publicitaires, ne va pas forcément fonctionner avec ses salariés du service clients, de la comptabilité ou du marketing.
Ce que je dis, c'est qu'on peut améliorer une technique qui fonctionne bien, mais qui pourrait fonctionner mieux. On devrait toujours aspirer à chercher des méthodes de management qui fonctionnent mieux que les routines auxquelles on a fini par s'habituer par conformisme ou par habitude."